L'Homme au masque de fer
s’avançait vers le seuil et lui disait :
– Vous voilà déjà revenu ? Votre voyage n’a pas été bien long.
Et reconnaissant la voyageuse inconnue qui avait séjourné une nuit dans son hôtel, elle fit, d’un air malicieux :
– Ah ! je comprends !
Gaëtan ne lui laissa pas le temps de développer sa pensée et, tout de suite, il la coupa :
– Je voudrais votre plus belle chambre pour Madame, et une autre…
– Pour vous ?
– Non, madame, pour une nourrice et son nourrisson !
– Tiens…, tiens, souligna la patronne avec un petit sourire polisson.
Au regard sévère que lui lança Castel-Rajac, elle jugea plus prudent de se mordre légèrement la langue, ainsi qu’elle le faisait chaque fois que celle-ci la démangeait par trop.
Ayant ainsi mis un frein à sa faconde, M me Lopion reprit :
– J’ai ce que vous demandez, monsieur le chevalier.
Castel-Rajac retourna près du carrosse, en fit descendre la nourrice, qui portait avec précaution l’enfant mystérieux, et l’amena jusqu’à la porte de l’hostellerie.
M me Lopion conduisit elle-même la duchesse jusqu’à la chambre qu’elle lui destinait et qui communiquait directement avec celle qui avait été dévolue à la nourrice.
L’enfant fit entendre un léger cri. La duchesse se mit à le bercer avec autant de douceur que s’il eût été son enfant. M me Lopion s’était approchée et regardait le nourrisson qui, déjà calmé, s’était rendormi.
– C’est un garçon ? demanda-t-elle.
– Oui, répondit Marie de Rohan.
En glissant un coup d’œil malicieux dans la direction de Gaëtan, M me Lopion ne put s’empêcher d’ajouter :
– Il ressemble déjà à son papa…
Le jeune Gascon allait protester…, mais, d’un signe rapide, M me de Chevreuse le retint. Il lui convenait fort que Castel-Rajac endossât la paternité du rejeton d’Anne d’Autriche et de Mazarin, quitte à passer elle-même pour la maman…
Mais, pour se débarrasser de la présence de l’hôtelière, qu’elle commençait à trouver quelque peu encombrante, la duchesse reprit :
– Je meurs de faim. Aussi, je vous prie de bien vouloir donner les ordres nécessaires pour que l’on me prépare un repas que vous aurez l’obligeance de me faire servir dans cette chambre.
M me Lopion, qui, décidément, ignorait l’art de la plus élémentaire discrétion, demanda :
– Faudra-t-il mettre aussi un couvert pour M. le chevalier ?
– Certainement ! répliqua Marie de Rohan, qui commençait à manifester une certaine nervosité.
– Allez, madame Lopion, allez…, ordonna Castel-Rajac.
Tandis que la tenancière s’éclipsait, la duchesse rendit l’enfant à sa nourrice qui l’emporta dans sa chambre.
M me de Chevreuse dit alors à Gaëtan :
– Maintenant, ami, je puis bien vous le dire : depuis huit jours et huit nuits que nous avons quitté Chevreuse, voilà la première fois que je respire librement.
– Est-ce possible ? s’étonna le jeune Gascon. Sur l’honneur, je ne me suis pas aperçu un seul instant que vous fussiez inquiète…
– C’est parce qu’en même temps, murmura la duchesse, j’étais une femme divinement heureuse.
– Pour cette parole, laissez-moi vous prendre un baiser…
– Dix, si vous le voulez !
Longuement, ils s’étreignirent. Puis, se ressaisissant la première, Marie reprit :
– Écoutez, mon ami, nous avons à parler sérieusement, très sérieusement même.
Et, encore toute vibrante des caresses partagées, elle poursuivit :
– Que vous disais-je donc ?
– Que, pendant huit grands jours et huit longues nuits, vous aviez été très inquiète…
– C’est vrai ! Je craignais d’apercevoir derrière nous des cavaliers lancés à notre poursuite…
– Par qui donc ?
– Mais… par… le mari…
– Puisqu’il est en voyage !
– Je tremblais à la pensée qu’il ne fût revenu.
– N’étais-je point là pour les recevoir, lui… et ses gens ?
– C’est précisément ce qui me rassurait… Mais vous continuerez à veiller sur ce pauvre petit…
– Puisque je vous l’ai promis !
Et, avec un large sourire, Gaëtan s’écria :
– Il est donc si terrible, ce mari trompé ?
– Oui, plutôt ! déclara M me de Chevreuse.
Et détournant brusquement la conversation, elle ajouta :
– Il me vient une idée. Tout à l’heure, je me suis aperçue, et vous avez dû le constater aussi,
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