L'honneur de Sartine
Nicolas avait été édifié de son enthousiasme pour l’intrigant. Paradès, disait-il, avait du charme, s’exprimait avec modestie et netteté. Un panégyrique en règle avait suivi sur un homme extraordinaire qui excitait la plus grande curiosité et presque la haine publique parce qu’il prônait des expéditions hardies auxquelles la Marine ne répondait pas .
Nicolas poussa son enquête et constata que le comte avait monté une maison immense et qu’il se mettait sur le pied d’acheter une terre. De surcroît il s’avérait être le fils d’un pâtissier de Phalsbourg. Les messages de plus en plus pressants et circonstanciés d’Antoinette se multipliant, il était temps de conclure une comédie qui menaçait les intérêts du royaume. Comment démasquer le traître ? Sur la proposition de Nicolas, la teneur fausse d’un secret d’État serait confiée au comte de Paradès. Il suffisait d’attendre. Une interception de paquets confirma le bien-fondé des soupçons. Informé, le roi s’exclama, s’adressant à Sartine : Il n’y a que moi, vous, Thierry et Ranreuil qui avons pu le laisser transpirer, autant dire les muets du sérail ! Les conséquences étaient aisées à tirer.
Début avril, accompagné du prévôt de l’Hôtel, Nicolas, en robe de magistrat, arrêtait M. de Paradès à son domicile rue de l’Estrapade et le conduisait aussitôt à la Bastille. La perquisition qui suivit permit de mettre la main sur plus d’un million de livres d’argent et d’effets. M. Le Noir vint longuement l’interroger. Criant à l’injustice 3 , Paradès s’en tint à un système de dénégations. Soupçonné d’avoir trahi l’État, il fut mis au secret. Sur la demande de Sartine, marri de la confiance accordée au héros et soucieux d’éviter les rumeurs qui ne manqueraient pas de rejaillir sur sa réputation, les ténèbres les plus épaisses environnèrent le dénouement de cette affaire. Le ministre plaça son espoir dans la légèreté d’une opinion chez qui un événement chassait l’autre. En vain, comme une traînée de poudre la nouvelle courut Paris et Versailles. Trop de situations étaient intéressées à son maintien ou à sa disgrâce. Cela le contrista étrangement, d’autant plus que sa gestion de la Marine continuait à faire l’objet des suspicions et des critiques de Necker, directeur général des finances.
Le carrosse entra en fracas dans la cour de l’hôtel de police, rue Neuve-des-Capucines. Nicolas gagna quatre à quatre le cabinet du lieutenant général. Avant qu’il y pénètre, le vieux valet de connaissance avec qui il entretenait une cordiale connivence lui fit un signe éloquent de la main.
– Oh ! Monsieur Nicolas, monseigneur ne sait plus où donner de la tête ! Faites court avec lui. Il m’inquiète. Vous savez son âme sensible et l’aménité de son esprit, le caractère le plus doux et le plus aimable qu’on puisse trouver. Il se tue à la tâche. Je redoute pour sa santé tout ce qui le contrarie.
Prévenu, Nicolas se vit ouvrir la porte. Au premier coup d’œil il jugea la situation. M. Le Noir en chemise, le foulard de cravate dénoué, disparaissait derrière des piles de papier qu’il parcourait agacé et signait d’une plume crissante, avant de les jeter à terre pour désencombrer son bureau. La perruque de travers, son bon visage empourpré et presque violacé, tout en lui trahissait une humeur bouleversée. Les yeux qu’il jeta enfin sur son visiteur étaient injectés de sommeil en retard ou de lectures trop prolongées à la faible lueur des bougies.
– Ah ! C’est vous, mon cher. Voyez l’état où j’en suis. Tout s’accumule.
– Il faut, monseigneur, prendre le temps de la relâche. Les affaires paraissent ensuite plus aisées. Vos amis vous le conseillent, le service du roi l’exige !
Le Noir hocha la tête d’un air farouche.
– Nous sommes en guerre, chacun se doit de monter à la tranchée. Et puis je serais bien ingrat si je ne consacrais pas chaque instant de ma vie à servir et soulager ce pauvre peuple qui me témoigne tant d’affection et de confiance. Qu’on me donne le temps d’agir et son sort sera amélioré comme jamais ! Hélas ! Outre mille papiers soumis à ma judiciaire, ceux que je dois signer, ceux que je dois lire, les rapports de la cour, ceux de la ville, la nécessité de tout savoir à tout moment et les allées et venues de Paris à Versailles, tout m’obsède et
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