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[Napoléon 1] Le chant du départ

[Napoléon 1] Le chant du départ

Titel: [Napoléon 1] Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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creusent. Il savait son père malade, mais le vide est là, devant lui, et Bonaparte se tient sur le bord, près de basculer.
    Le directeur des études, Valfort, qui vient de lui annoncer la nouvelle, l’invite, comme c’est l’usage, à se retirer à l’infirmerie afin d’y pleurer et d’y prier, de se soumettre à la souffrance que le destin lui impose. Bonaparte reste un instant silencieux, puis il répond d’une voix sourde qu’un homme doit savoir souffrir. C’est aux femmes de pleurer. Il demande donc à reprendre sa place, comme si rien ne s’était produit. Le chagrin est une affaire personnelle. « Je ne suis pas venu jusqu’à cette heure sans avoir songé à la mort, dit-il. J’y accoutume mon âme comme à la vie. »
    Et cependant sa peine est extrême.
    Il apprend comment son père avait subi durant ces derniers mois les assauts de plus en plus cruels de la maladie. Des vomissements, des douleurs intolérables à l’estomac, l’impossibilité de s’alimenter.
    En compagnie de Joseph, son fils aîné, Charles Bonaparte avait voulu gagner Paris pour s’y faire à nouveau examiner par le médecin de la reine, le docteur Lasonne. Mais le navire, dès qu’il a quitté la Corse, au mois de novembre 1784, a essuyé une tempête et a été rejeté vers Calvi, où il a fait escale, et il n’a abordé les côtes de Provence qu’après un nouveau et brutal coup de vent.
    À Aix, Charles Bonaparte a retrouvé son beau-frère, le séminariste Fesch.
    Les souffrances sont si vives qu’un médecin, le professeur Turnatori, conseille à Charles Bonaparte de se rendre à Montpellier où exercent des médecins renommés, La Mure, de Sabatier, Barthez.
    Mais il est trop tard. À Montpellier, Charles Bonaparte s’affaiblit d’heure en heure.
    Son fils Joseph, son beau-frère Fesch, une Mme Pernom et sa fille Laure l’entourent de soins.
    Charles, l’esprit fort, l’ennemi des jésuites, le voltairien, réclame des prêtres, se confesse, prie. Sa voix se voile, puis par à-coups s’éclaircit, et dans les heures qui précèdent sa mort il appelle Napoléon, ce fils seul capable de le sauver, de l’arracher au dragon de la mort.
    Dans des accès fébriles, il crie que l’épée de Napoléon fera trembler les rois, que son fils changera la face du monde. S’il était présent, « il me défendrait de mes ennemis », lance-t-il.
    Il tente de se redresser, il répète : « Napoléon, Napoléon », puis retombe.
    Il meurt ce 24 février 1785.
    Les médecins, dans les heures qui suivent, procèdent à son autopsie, décrivent : « À l’orifice inférieur de l’estomac, une tumeur de la longueur et du volume d’une grosse patate ou d’une grosse poire d’hiver allongée. Les tuniques de l’estomac vers le milieu de sa grande courbure étaient très épaisses et d’une consistance très ferme approchant du cartilage… Nous avouons que nous trouvâmes le foie gorgé et la vésicule du fiel extrêmement remplie d’une bile très foncée, ayant acquis le volume d’une poire médiocre, allongée… »
    On inhuma Charles Bonaparte dans un des caveaux de l’église des Cordeliers.
     
    Bonaparte, dans les jours qui suivent l’annonce du décès, se montre encore plus acharné au travail. Il y noie sa douleur. Il impose silence à Alexandre Des Mazis, qui veut le consoler. Il dit simplement que sa réussite est plus nécessaire encore. Il doit être officier dès septembre. Élève ? Il n’est plus temps. Sous-lieutenant d’emblée, voilà l’obligation.
    Il sait qu’à Ajaccio sa mère devra désormais élever ses quatre cadets avec seulement mille cinq cents livres de revenus. Les quatre aînés sont placés dans des écoles et pourront subvenir à leurs besoins. Et si lui, Napoléon, touche dès octobre 1785 une solde, s’il est officier dans un régiment, il pourra dans les faits être ce chef de famille dont il a l’âme depuis plusieurs mois déjà.
    Il rédige deux lettres, à la fin du mois de mars. L’une à l’oncle de son père, l’archidiacre d’Ajaccio, Lucien, dont on dit dans la famille Bonaparte qu’il entasse son argent dans une bourse placée sous son oreiller, l’autre à sa mère.
    Ces lettres, il doit les soumettre, selon la règle, aux officiers de l’école chargés de lire toutes les correspondances et, si besoin est, de les corriger. Il masque donc autant qu’il le peut ses sentiments.
    Celle du 23 mars, adressée à l’oncle archidiacre,

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