[Napoléon 1] Le chant du départ
Napoléon sait que Paoli l’accuse d’avoir utilisé son nom pendant l’émeute.
De retour à Ajaccio, Napoléon prend la mesure des haines qu’il rencontre désormais.
Dans la rue, on s’écarte. On a peur des volontaires. Napoléon est accusé d’avoir mis la ville en péril. Les députés corses à la Législative, Peraldi et Pozzo di Borgo, multiplient les libelles contre lui. Il est pour eux « le tigre sanguinaire » qu’il ne faut pas laisser « jouir de sa barbarie ».
Il ricane. On ne hait que ceux qui se distinguent de la foule. Et qu’on l’accuse d’avoir fomenté une « nouvelle Saint-Barthélemy » ne le gêne pas. Il rassure sa mère qui s’inquiète.
Il va quitter l’île à la mi-mai, pour se rendre à Paris, se défendre contre les propos de Pozzo di Borgo et de Peraldi à la Législative et obtenir de conserver son grade dans l’armée, car il a dû être rayé des cadres « pour permission expirée ».
Ces événements d’Ajaccio l’ont révélé à lui-même. Tout a bougé en lui. Tout bouge en France. Depuis le 20 avril 1792, la guerre est déclarée.
Il se sent accordé à ce monde en mouvement.
Il est sûr que rien ne l’arrêtera.
12.
Le 28 mai 1792, à la fin de l’après-midi, Napoléon marche lentement dans les rues étroites du quartier des Tuileries.
Il cherche l’hôtel des Patriotes Hollandais, situé rue Royale-Saint-Roch. Il sait que là se sont rassemblés les députés corses à l’Assemblée législative et il a décidé de s’installer parmi eux.
Joseph, quand il a appris le choix de son frère, s’est étonné.
Pozzo di Borgo et Peraldi sont des adversaires des Bonaparte. Pourquoi les côtoyer ? Napoléon a répondu d’un ton méprisant. Il ne faut jamais fuir, mais aller au-devant de l’ennemi.
Il est passé déjà à deux reprises devant l’hôtel, mais chaque fois le spectacle de ces rues proches de l’Assemblée l’a retenu sur le trottoir.
Non loin de là, au Palais-Royal, des femmes racolent toujours, mais la foule est plus mêlée, plus bruyante, plus libre qu’autrefois lorsque, jeune homme timide de dix-huit ans, il se glissait sous les galeries.
Il s’arrête.
Un orateur debout sur un banc crie : « On nous égorgera tous. M. Veto et son Autrichienne vont livrer Paris aux troupes de Brunswick. Que font les officiers, les généraux ? Ils trahissent ! Ils émigrent !
— À mort ! lance une voix.
Napoléon s’éloigne. Il croise de nombreux gardes nationaux qui portent sur les revers blancs de leur veste des cocardes tricolores. On ne le remarque pas. Il se regarde dans une vitre, petit officier maigre en uniforme sombre, au teint bilieux mais au port altier. Il s’éloigne seul, les yeux pleins de défis. Cette indifférence des gens qui l’entourent le stimule. Il sortira de l’ombre.
Plus il avance dans ces rues et plus la foule bigarrée, le plus souvent dépenaillée et bruyante, l’irrite. Est-ce cela le peuple d’une capitale ? Qui imposera à cette populace l’ordre nécessaire ?
Rue Saint-Honoré, il s’immobilise devant les façades du couvent des Feuillants et de l’église des Capucins. L’Assemblée législative occupe ces bâtiments et celui du manège des Tuileries, situé au bout des jardins. Là délibèrent les députés.
Napoléon pénètre dans la cour des Feuillants. C’est donc cela, ce n’est que cela le centre du pouvoir ? La foule se presse en désordre dans la cour. Elle interpelle les députés qui passent. Elle se précipite pour entrer dans la salle des séances. Des hommes aux voix fortes et aux gestes menaçants dénoncent l’incapacité du gouvernement.
— Qu’on juge les traîtres, qu’on juge M. Veto.
Napoléon est fasciné. Comment un pouvoir peut-il tolérer cette anarchie, cette rébellion, cette critique de la rue, alors qu’existe une Constitution qui devrait être acceptée par tous les honnêtes gens ?
Il s’éloigne, médite une phrase qu’il écrira ce soir : « Les peuples sont des vagues agitées par le vent. Sous une impulsion mauvaise, toutes leurs passions se déchaînent. »
Il se résout à gagner son hôtel.
Dans l’entrée, il croise Pozzo di Borgo, qui sursaute en le voyant.
Napoléon hésite, puis salue le député. C’est un homme qui compte, on le dit au mieux avec le ministre de la Guerre.
Installé dans sa chambre, Napoléon commence immédiatement une lettre à Joseph. Il a besoin de partager ses
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