[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
demain matin les recevoir de plein fouet.
À ce moment-là, Bernadotte, la Garde et Soult, tout le centre du dispositif monteront à l’assaut du plateau de Pratzen dégarni et tomberont, la crête conquise, sur les armées ennemies qui se sont avancées. Et, à l’aile gauche, Lannes et Murat tourneront tout le dispositif russe.
Napoléon a, en écoutant Savary, joué mentalement, une fois de plus, toute la partie. La victoire ne peut lui échapper.
Il contemple longuement les illuminations, ces points lumineux dans l’obscurité glacée :
— Voilà la plus belle soirée de ma vie, dit-il, mais je regrette de penser que je perdrai bon nombre de ces braves gens.
Il baisse la tête.
— Ils sont véritablement mes enfants, murmure-t-il.
Constant lui présente une tasse de thé, qu’il boit lentement, demandant à ce qu’on en serve aussi à Savary, à Berthier, à Roustam
Il aime cette fraternité des veilles de bataille, quand chacun sait que demain peut être le dernier jour de sa vie.
Il aurait pu être tué par les cosaques il y a moins d’une heure.
Demain, même s’il se tient loin des premières lignes, un boulet peut l’emporter. Il est Empereur, mais il se soumet lui aussi au risque de la mort qu’impose la guerre.
Il monte dans la berline. Il va dormir.
Le 2 décembre 1805, lorsqu’il se lève, il voit le brouillard. Il ne pleuvra donc pas. Il est aussitôt à cheval, avec son escorte, parcourant le front des troupes encore immobiles.
À huit heures, le soleil se lève et dissipe le brouillard. Le grand disque rouge monte lentement cependant que les troupes de Soult, de Davout et de Bernadotte commencent à prendre d’assaut le plateau de Pratzen.
Il va vers l’aile droite, se place à la tête de la réserve, suit à la lorgnette les mouvements des troupes. Il voit les cavaliers immenses de la Garde impériale russe dans leurs uniformes blanc et vert se faire tailler en pièces. Il voit les corps s’amonceler par milliers. Les Russes contre-attaquent plusieurs fois. Il fait donner la cavalerie de la Garde. Au bout de quelques minutes, le général Rapp, blessé, revient vers l’Empereur, accompagnant un prisonnier, le colonel des gardes russes, le prince Repnine.
Le plateau de Pratzen est conquis. Les Austro-Russes n’ont plus qu’à mourir ou à se rendre. Échec et mat dans quelques coups.
Napoléon regarde les troupes russes qui s’aventurent au sud de l’aile droite sur les étangs gelés. Il donne l’ordre de tirer sur la glace, qui s’ouvre. L’eau est peu profonde. Il y aura peu de noyés, mais l’artillerie russe est engloutie, et les hommes se rendent ou périssent de froid.
La nuit est tombée si vite ! Il pleut et il grêle. Il parcourt à cheval le champ de bataille.
Il faut qu’il voie cela, ces morts, ces blessés qui agonisent, ces masses sombres des chevaux enchevêtrés les uns sur les autres, éventrés par les boulets.
Qu’on se taise autour de lui. Il faut entendre les plaintes des blessés. Il faut qu’on les secoure.
Il retrouve son bivouac, mais ne peut dormir.
À six heures du matin, il est à nouveau à cheval, dans la nuit encore tenace. Il chevauche sur la route qui va vers Olmütz et où, de part et d’autre de la chaussée, les morts et les blessés sont étendus. Ici, Lannes et Murat ont écrasé les troupes du général russe Bagration.
Il prend l’embranchement qui conduit à Austerlitz. Partout des morts, des pièces d’artillerie russes.
À Austerlitz, il s’installe dans le château du prince de Kaunitz.
La victoire est conforme à ce qu’il avait prévu, mais il ne ressent aucune jubilation. Les événements se sont déroulés comme il l’avait imaginé. Mais il est glacé. Il s’installe devant la cheminée de la grande salle d’apparat, et il écrit à Joséphine, le dos aux flammes.
« J’ai battu l’armée russe et autrichienne commandée par les deux Empereurs. Je me suis un peu fatigué, j’ai bivouaqué huit jours en plein air par des nuits assez fraîches. Je couche ce soir dans le château du prince Kaunitz, où je vais dormir deux ou trois heures. L’armée russe est non seulement battue mais détruite.
« Je t’embrasse. »
Peu à peu la chaleur pénètre son corps. La fatigue glisse hors de lui mais ses yeux brûlent, comme ceux de nombreux soldats. Le vent, le froid, les cavalcades les ont irrités.
Il se lève, plonge son visage dans l’eau chaude, puis, les yeux
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