[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
J’avais d’ailleurs prévenu que je serais six jours sans écrire.
« Ma santé est assez bonne. Je m’avance contre l’armée russe. Il faut être gaie, t’amuser, espérer qu’avant la fin du mois nous nous verrons.
« J’ai donné hier aux dames de cette Cour un concert. Le maître de chapelle est un homme de mérite. J’ai chassé à une faisanderie de l’Électeur : tu vois que je ne suis pas si fatigué. Talleyrand est arrivé. »
Le lendemain, Napoléon quitte à nouveau les palais. Il faut oublier les bains chauds, les concerts, reprendre la route.
Parfois, dans la berline, ou bien même à cheval, quand il a décidé d’avancer ainsi, au milieu de ses soldats, sous la neige, il pense qu’il aime cette vie-là, errante, périlleuse et rude. Il couche dans des presbytères au confort rudimentaire. À Lembach, il loge dans un couvent. La cellule où il s’installe pour la nuit est glacée, la sensation de froid est encore plus grande que sur la route, dans les bourrasques de neige.
« Je suis en grande marche, écrit-il à Joséphine. Le temps est froid, la terre couverte d’un pied de neige. Cela est un peu rude. Il ne manque heureusement pas de bois ; nous sommes, ici, toujours dans les forêts. Je me porte assez bien. Mes affaires vont d’une manière satisfaisante ; mes ennemis doivent avoir plus de souci que moi.
« Je désire avoir de tes nouvelles et apprendre que tu es sans inquiétude.
« Adieu, mon amie, je vais me coucher. »
Mais comment dormir ? Il reprend le rapport que lui a communiqué le général Savary. Il le relit, se souvient de cet homme étrange dont Savary lui a parlé déjà, un citoyen du pays de Bade, fils de pasteur, quincaillier, épicier, marchand de tabac, mais habile espion, longtemps au service des Autrichiens. Ce Schulmeister était encore dans Ulm auprès du général Mack il y a quelques jours. Puis Schulmeister a changé de camp, fait des offres à Murat et à Savary, apporté des renseignements sur la marche des troupes russes. Koutousov aurait l’intention d’attirer les Français loin vers l’est. Schulmeister se serait infiltré dans l’état-major austro-russe, se faisant passer pour officier. Savary a joint à son rapport les notes de Schulmeister, qui signe Charles-Frédéric.
Les espions sont indispensables.
Napoléon déchiffre pour la troisième fois cette écriture minuscule. Les détails donnés par Schulmeister confirment les intuitions de Napoléon. Il faut arrêter la retraite de l’ennemi vers l’est. Il n’est donc pas suffisant, comme le font Bernadotte ou Ney, de le battre, d’entrer à Salzbourg, à Innsbruck, ou comme Lannes et Murat de s’emparer des ponts sur le Danube qui permettront d’encercler Vienne et d’occuper la troisième ville d’Europe.
Il faut battre et surtout détruire l’ennemi comme je l’ai fait à Ulm .
Depuis la grande pièce où il s’est installé dans le palais des États à Linz, Napoléon aperçoit la grande place et la haute colonne de la Trinité érigée en 1723 en mémoire de la délivrance de la ville de la peste et des Turcs.
Napoléon se tient devant la fenêtre et se souvient de ce projet qu’il avait eu de partir pour Constantinople.
Il pense à ce destin qui l’a conduit ici, à Linz, si près de Vienne, où il va entrer, il en est sûr, dans cette capitale dont les Turcs ont fait le siège en vain.
Il songe à toutes ces villes qu’il a conquises déjà, à ces cinquante batailles qu’il a livrées.
Où le conduira sa destinée ?
« Je manoeuvre aujourd’hui contre l’armée russe, dicte-t-il pour son frère Joseph et, dans cette circonstance, j’ai été peu content de Bernadotte. »
Il faut bien que Joseph sache que Bernadotte, son beau-frère, n’est pas le maréchal sans tache qu’il imagine.
« Bernadotte m’a fait perdre un jour, et d’un jour dépend le destin du monde. »
Il me semble souvent que je suis le seul à comprendre, à sentir cela. Les autres, même les meilleurs, prennent leur temps, imaginent que l’avenir est entre leurs mains. Je serai le seul à pouvoir croire cela. Et je ne le crois pas. Tout demeure incertain. L’avenir est comme la guerre .
« Tout peut changer d’un instant à l’autre ; un bataillon décide d’une journée. »
Il refuse de recevoir le prince Giulay, envoyé de l’empereur d’Autriche, qui vient proposer un armistice de quinze jours.
Que croient donc les Autrichiens ?
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