[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
lentement, parce que, à près de cinquante-cinq ans, il perd la vue. La mémoire et l’intelligence sont vives, mais le corps ne suit plus.
Je n’ai que trente-deux ans !
Je viens de ratifier le Concordat, enfin approuvé à Rome par le Sacré Collège des cardinaux.
Une boîte de diamants de quinze mille francs a été offerte au cardinal Consalvi, et une de huit mille francs à Mgr Spina, plus douze mille francs à distribuer dans les bureaux de la secrétairerie d’État.
Les hommes sont les hommes. « Et les hommes sont comme les chiffres : ils ne prennent de valeur que par leur position. »
Hic , masculin !
Portalis est en train de parler de l’article consacré, dans le code civil, au mariage. Il est partisan du maintien du divorce. Mais, explique-t-il, « l’infidélité de la femme suppose plus de corruption et a des effets plus dangereux que celle du mari ». Le divorce sera donc de droit pour le mari si la femme est adultère, mais le mari ne sera considéré comme fautif que s’il a introduit sa concubine dans la maison commune.
Portalis se penche vers Napoléon, quête une approbation.
Divorce : il y a pensé, rentrant d’Égypte, averti des infidélités de Joséphine.
Aujourd’hui, dans sa famille – ses frères Joseph et Lucien, ses soeurs, Pauline et même Élisa, peut-être sa mère –, on souhaite le divorce, on en rêve.
Napoléon commence à répondre lentement. « Qu’est-ce qu’une famille dissoute ? Que sont les enfants qui n’ont plus de père ? Qui ne peuvent confondre dans les mêmes embrassements les auteurs désunis de leur jour ? Ah, gardons-nous d’encourager le divorce ! De toutes les modes, ce serait la plus funeste. N’imprimons pas le sceau de la faute à l’époux qui en use mais plaignons-le comme un homme auquel il est arrivé un grand malheur. Que les moeurs repoussent la triste ressource que la loi n’a pu refuser aux époux malheureux. »
Il se lève et dit d’une voix forte :
« Il faut que la femme sache qu’en sortant de la tutelle de la famille elle passe sous celle du mari. »
13.
Deux ans déjà, depuis le 18 Brumaire !
Napoléon, en cette nuit du 8 au 9 novembre 1801, ne dort pas. Il ne cherche pas à se souvenir de tout ce qu’il a accompli depuis deux années. Il marche dans son cabinet des Tuileries. Il n’a pas réveillé Roustam. Il ne veut pas prendre un bain chaud.
Il va vers sa table. Il parcourt la proclamation qu’il a rédigée hier soir et qui doit être lue ce matin. Il l’a écrite, comme à son habitude, d’un seul trait : « Français, vous l’avez enfin tout entière, cette paix que vous avez méritée par de si longs et si généreux efforts ! Le monde ne vous offre plus que des nations amies… À la gloire des combats faisons succéder une gloire plus douce pour les citoyens, moins redoutable pour nos voisins. »
Il a dit ce qu’il espère, ce que le peuple souhaite, mais il sait bien que rien n’est achevé et, même s’il a dû en quelques phrases exalter ce qui a été accompli, il est persuadé que tout reste à faire, puisque rien n’est assuré.
La paix ? Londres en a signé les préliminaires, mais chaque jour qui passe montre qu’elle est sur ses gardes, jalouse de ses droits. Sans doute n’est-ce qu’une pause.
Il y a quelques jours, Fox, l’un des grands parlementaires anglais, est venu à Paris. Ils ont parlé, mais Fox s’est à chaque projet montré inquiet.
Lorsqu’il a visité, au Louvre, l’exposition des produits des manufactures françaises, il avait le visage soucieux du représentant d’une nation commerçante qui se rend chez un concurrent.
Quelqu’un a eu la bêtise, en offrant un globe terrestre au Premier consul, de déclarer en montrant du doigt l’Angleterre, combien cette nation était petite ! Fox s’est enflammé : « Oui, a-t-il dit, c’est dans cette île si petite que naissent les Anglais, et c’est dans cette île qu’ils veulent tous mourir. » Puis il a pris le globe entre ses bras et a ajouté : « Pendant leur vie ils remplissent ce globe entier et l’embrassent de leur puissance. »
Je n’ai pu qu’approuver.
Mais à chaque instant je sens la résistance de l’Angleterre, alors que la paix n’est pas encore conclue .
L’annonce du départ pour Saint-Domingue d’une expédition dirigée par le général Leclerc et destinée à reconquérir l’île où les Noirs, avec à leur tête l’un d’eux,
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