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Notre-Dame de Paris

Notre-Dame de Paris

Titel: Notre-Dame de Paris Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Hugo
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s’était épaissi sur sa mémoire se déchirait. Tous les détails de sa lugubre aventure, depuis la scène nocturne chez la Falourdel jusqu’à sa condamnation à la Tournelle, lui revinrent à la fois dans l’esprit, non pas vagues et confus comme jusqu’alors, mais distincts, crus, tranchés, palpitants, terribles. Ces souvenirs à demi effacés, et presque oblitérés par l’excès de la souffrance, la sombre figure qu’elle avait devant elle les raviva, comme l’approche du feu fait ressortir toutes fraîches sur le papier blanc les lettres invisibles qu’on y a tracées avec de l’encre sympathique. Il lui sembla que toutes les plaies de son cœur se rouvraient et saignaient à la fois.
    « Hah ! cria-t-elle, les mains sur ses yeux et avec un tremblement convulsif, c’est le prêtre ! »
    Puis elle laissa tomber ses bras découragés, et resta assise, la tête baissée, l’œil fixé à terre, muette, et continuant de trembler.
    Le prêtre la regardait de l’œil d’un milan qui a longtemps plané en rond du plus haut du ciel autour d’une pauvre alouette tapie dans les blés, qui a longtemps rétréci en silence les cercles formidables de son vol, et tout à coup s’est abattu sur sa proie comme la flèche de l’éclair, et la tient pantelante dans sa griffe.
    Elle se mit à murmurer tout bas :
    « Achevez ! achevez ! le dernier coup ! » Et elle enfonçait sa tête avec terreur entre ses épaules, comme la brebis qui attend le coup de massue du boucher.
    « Je vous fais donc horreur ? » dit-il enfin.
    Elle ne répondit pas.
    « Est-ce que je vous fais horreur ? » répéta-t-il.
    Ses lèvres se contractèrent comme si elle souriait.
    « Oui, dit-elle, le bourreau raille le condamné. Voilà des mois qu’il me poursuit, qu’il me menace, qu’il m’épouvante ! Sans lui, mon Dieu, que j’étais heureuse ! C’est lui qui m’a jetée dans cet abîme ! Ô ciel ! c’est lui qui a tué… c’est lui qui l’a tué ! mon Phœbus ! »
    Ici, éclatant en sanglots et levant les yeux sur le prêtre :
    « Oh ! misérable ! qui êtes-vous ? que vous ai-je fait ? vous me haïssez donc bien ? Hélas ! qu’avez-vous contre moi ?
    – Je t’aime ! » cria le prêtre.
    Ses larmes s’arrêtèrent subitement. Elle le regarda avec un regard d’idiot. Lui était tombé à genoux et la couvait d’un œil de flamme.
    « Entends-tu ? je t’aime ! cria-t-il encore.
    – Quel amour ! » dit la malheureuse en frémissant.
    Il reprit :
    « L’amour d’un damné. »
    Tous deux restèrent quelques minutes silencieux, écrasés sous la pesanteur de leurs émotions, lui insensé, elle stupide.
    « Écoute, dit enfin le prêtre, et un calme singulier lui était revenu. Tu vas tout savoir. Je vais te dire ce que jusqu’ici j’ai à peine osé me dire à moi-même, lorsque j’interrogeais furtivement ma conscience à ces heures profondes de la nuit où il y a tant de ténèbres qu’il semble que Dieu ne nous voit plus. Écoute. Avant de te rencontrer, jeune fille, j’étais heureux…
    – Et moi ! soupira-t-elle faiblement.
    – Ne m’interromps pas. – Oui, j’étais heureux, je croyais l’être du moins. J’étais pur, j’avais l’âme pleine d’une clarté limpide. Pas de tête qui s’élevât plus fière et plus radieuse que la mienne. Les prêtres me consultaient sur la chasteté, les docteurs sur la doctrine. Oui, la science était tout pour moi. C’était une sœur, et une sœur me suffisait. Ce n’est pas qu’avec l’âge il ne me fût venu d’autres idées. Plus d’une fois ma chair s’était émue au passage d’une forme de femme. Cette force du sexe et du sang de l’homme que, fol adolescent, j’avais cru étouffer pour la vie, avait plus d’une fois soulevé convulsivement la chaîne des vœux de fer qui me scellent, misérable, aux froides pierres de l’autel. Mais le jeûne, la prière, l’étude, les macérations du cloître, avaient refait l’âme maîtresse du corps. Et puis, j’évitais les femmes. D’ailleurs, je n’avais qu’à ouvrir un livre pour que toutes les impures fumées de mon cerveau s’évanouissent devant la splendeur de la science. En peu de minutes, je sentais fuir au loin les choses épaisses de la terre, et je me retrouvais calme, ébloui et serein en présence du rayonnement tranquille de la vérité éternelle. Tant que le démon n’envoya pour m’attaquer que de vagues ombres de femmes qui

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