Notre-Dame de Paris
moi un homme que je ne connaissais pas. Je voulus user de tous mes remèdes, le cloître, l’autel, le travail, les livres. Folie ! Oh ! que la science sonne creux quand on y vient heurter avec désespoir une tête pleine de passions ! Sais-tu, jeune fille, ce que je voyais toujours désormais entre le livre et moi ? Toi, ton ombre, l’image de l’apparition lumineuse qui avait un jour traversé l’espace devant moi. Mais cette image n’avait plus la même couleur ; elle était sombre, funèbre, ténébreuse comme le cercle noir qui poursuit longtemps la vue de l’imprudent qui a regardé fixement le soleil.
« Ne pouvant m’en débarrasser, entendant toujours ta chanson bourdonner dans ma tête, voyant toujours tes pieds danser sur mon bréviaire, sentant toujours la nuit en songe ta forme glisser sur ma chair, je voulus te revoir, te toucher, savoir qui tu étais, voir si je te retrouverais bien pareille à l’image idéale qui m’était restée de toi, briser peut-être mon rêve avec la réalité. En tout cas, j’espérais qu’une impression nouvelle effacerait la première, et la première m’était devenue insupportable. Je te cherchai. Je te revis. Malheur ! Quand je t’eus vue deux fois, je voulus te voir mille, je voulus te voir toujours. Alors, – comment enrayer sur cette pente de l’enfer ? – alors je ne m’appartins plus. L’autre bout du fil que le démon m’avait attaché aux ailes, il l’avait noué à ton pied. Je devins vague et errant comme toi. Je t’attendais sous les porches, je t’épiais au coin des rues, je te guettais du haut de ma tour. Chaque soir, je rentrais en moi-même plus charmé, plus désespéré, plus ensorcelé, plus perdu !
« J’avais su qui tu étais, égyptienne, bohémienne, gitane, zingara, comment douter de la magie ? Écoute. J’espérai qu’un procès me débarrasserait du charme. Une sorcière avait enchanté Bruno d’Ast, il la fit brûler et fut guéri. Je le savais. Je voulus essayer du remède. J’essayai d’abord de te faire interdire le parvis Notre-Dame, espérant t’oublier si tu ne revenais plus. Tu n’en tins compte. Tu revins. Puis il me vint l’idée de t’enlever. Une nuit je le tentai. Nous étions deux. Nous te tenions déjà, quand ce misérable officier survint. Il te délivra. Il commençait ainsi ton malheur, le mien et le sien. Enfin, ne sachant plus que faire et que devenir, je te dénonçai à l’official. Je pensais que je serais guéri, comme Bruno d’Ast. Je pensais aussi confusément qu’un procès te livrerait à moi, que dans une prison je te tiendrais, je t’aurais, que là tu ne pourrais m’échapper, que tu me possédais depuis assez longtemps pour que je te possédasse aussi à mon tour. Quand on fait le mal, il faut faire tout le mal. Démence de s’arrêter à un milieu dans le monstrueux ! L’extrémité du crime a des délires de joie. Un prêtre et une sorcière peuvent s’y fondre en délices sur la botte de paille d’un cachot !
« Je te dénonçai donc. C’est alors que je t’épouvantais dans mes rencontres. Le complot que je tramais contre toi, l’orage que j’amoncelais sur ta tête s’échappait de moi en menaces et en éclairs. Cependant j’hésitais encore. Mon projet avait des côtés effroyables qui me faisaient reculer.
« Peut-être y aurais-je renoncé, peut-être ma hideuse pensée se serait-elle desséchée dans mon cerveau sans porter son fruit. Je croyais qu’il dépendrait toujours de moi de suivre ou de rompre ce procès. Mais toute mauvaise pensée est inexorable et veut devenir un fait ; mais là où je me croyais tout-puissant, la fatalité était plus puissante que moi. Hélas ! hélas ! c’est elle qui t’a prise et qui t’a livrée au rouage terrible de la machine que j’avais ténébreusement construite ! – Écoute. Je touche à la fin.
« Un jour, – par un autre beau soleil, – je vois passer devant moi un homme qui prononce ton nom et qui rit et qui a la luxure dans les yeux. Damnation ! je l’ai suivi. Tu sais le reste. »
Il se tut.
La jeune fille ne put trouver qu’une parole :
« Ô mon Phœbus !
– Pas ce nom ! dit le prêtre en lui saisissant le brai avec violence. Ne prononce pas ce nom ! Oh ! misérables que nous sommes, c’est ce nom qui nous a perdus ! Ou plutôt nous nous sommes tous perdus les uns les autres par l’inexplicable jeu de la fatalité ! – Tu souffres, n’est-ce pas ? tu as
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