Notre-Dame de Paris
représenta à son esprit. Il sentit confusément qu’il approchait d’une situation violente. En ce moment critique, il tint conseil en lui-même avec un raisonnement meilleur et plus prompt qu’on ne l’eût attendu d’un cerveau si mal organisé. Devait-il éveiller l’égyptienne ? la faire évader ? Par où ? les rues étaient investies, l’église était acculée à la rivière. Pas de bateau ! pas d’issue ! – Il n’y avait qu’un parti, se faire tuer au seuil de Notre-Dame, résister du moins jusqu’à ce qu’il vînt un secours, s’il en devait venir, et ne pas troubler le sommeil de la Esmeralda. La malheureuse serait toujours éveillée assez tôt pour mourir. Cette résolution une fois arrêtée, il se mit à examiner l’ennemi avec plus de tranquillité.
La foule semblait grossir à chaque instant dans le Parvis. Seulement il présuma qu’elle ne devait faire que fort peu de bruit, puisque les fenêtres des rues et de la place restaient fermées. Tout à coup une lumière brilla, et en un instant sept ou huit torches allumées se promenèrent sur les têtes, en secouant dans l’ombre leurs touffes de flammes. Quasimodo vit alors distinctement moutonner dans le Parvis un effrayant troupeau d’hommes et de femmes en haillons, armés de faulx, de piques, de serpes, de pertuisanes dont les mille pointes étincelaient. Çà et là, des fourches noires faisaient des cornes à ces faces hideuses. Il se ressouvint vaguement de cette populace, et crut reconnaître toutes les têtes qui l’avaient, quelques mois auparavant, salué pape des fous. Un homme qui tenait une torche d’une main et une boullaye de l’autre monta sur une borne et parut haranguer. En même temps l’étrange armée fit quelques évolutions comme si elle prenait poste autour de l’église. Quasimodo ramassa sa lanterne et descendit sur la plate-forme d’entre les tours pour voir de plus près et aviser aux moyens de défense.
Clopin Trouillefou, arrivé devant le haut portail de Notre-Dame, avait en effet rangé sa troupe en bataille. Quoiqu’il ne s’attendît à aucune résistance, il voulait, en général prudent, conserver un ordre qui lui permît de faire front au besoin contre une attaque subite du guet ou des onze-vingts. Il avait donc échelonné sa brigade de telle façon que, vue de haut et de loin, vous eussiez dit le triangle romain de la bataille d’Ecnome, la tête-de-porc d’Alexandre, ou le fameux coin de Gustave-Adolphe. La base de ce triangle s’appuyait au fond de la place, de manière à barrer la rue du Parvis ; un des côtés regardait l’Hôtel-Dieu, l’autre la rue Saint-Pierre-aux-Bœufs. Clopin Trouillefou s’était placé au sommet, avec le duc d’Égypte, notre ami Jehan, et les sabouleux les plus hardis.
Ce n’était point chose très rare dans les villes du moyen âge qu’une entreprise comme celle que les truands tentaient en ce moment sur Notre-Dame. Ce que nous nommons aujourd’hui police n’existait pas alors. Dans les cités populeuses, dans les capitales surtout, pas de pouvoir central, un, régulateur. La féodalité avait construit ces grandes communes d’une façon bizarre. Une cité était un assemblage de mille seigneuries qui la divisaient en compartiments de toutes formes et de toutes grandeurs. De là mille polices contradictoires, c’est-à-dire pas de police. À Paris, par exemple, indépendamment des cent quarante et un seigneurs prétendant censive, il y en avait vingt-cinq prétendant justice et censive, depuis l’évêque de Paris, qui avait cent cinq rues, jusqu’au prieur de Notre-Dame-des-Champs, qui en avait quatre. Tous ces justiciers féodaux ne reconnaissaient que nominalement l’autorité suzeraine du roi. Tous avaient droit de voirie. Tous étaient chez eux. Louis XI, cet infatigable ouvrier qui a si largement commencé la démolition de l’édifice féodal, continuée par Richelieu et Louis XIV au profit de la royauté, et achevée par Mirabeau au profit du peuple, Louis XI avait bien essayé de crever ce réseau de seigneuries qui recouvrait Paris, en jetant violemment tout au travers deux ou trois ordonnances de police générale. Ainsi, en 1465, ordre aux habitants, la nuit venue, d’illuminer de chandelles leurs croisées, et d’enfermer leurs chiens, sous peine de la hart ; même année, ordre de fermer le soir les rues avec des chaînes de fer, et défense de porter dagues ou armes offensives la nuit dans les rues. Mais,
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