Notre-Dame de Paris
regarder. Les onze marches du portail en étaient encombrées.
Cependant la porte tenait bon. « Diable ! elle est dure et têtue ! disait l’un. – Elle est vieille, et elle a les cartilages racornis, disait l’autre. – Courage, camarades ! reprenait Clopin. Je gage ma tête contre une pantoufle que vous aurez ouvert la porte, pris la fille et déshabillé le maître-autel avant qu’il y ait un bedeau de réveillé. Tenez ! je crois que la serrure se détraque. »
Clopin fut interrompu par un fracas effroyable qui retentit en ce moment derrière lui. Il se retourna. Une énorme poutre venait de tomber du ciel, elle avait écrasé une douzaine de truands sur le degré de l’église, et rebondissait sur le pavé avec le bruit d’une pièce de canon, en cassant encore çà et là des jambes dans la foule des gueux qui s’écartaient avec des cris d’épouvante. En un clin d’œil l’enceinte réservée du Parvis fut vide. Les hutins, quoique protégés par les profondes voussures du portail, abandonnèrent la porte, et Clopin lui-même se replia à distance respectueuse de l’église.
« Je l’ai échappé belle ! criait Jehan. J’en ai senti le vent, tête-bœuf ! Mais Pierre l’Assommeur est assommé ! »
Il est impossible de dire quel étonnement mêlé d’effroi tomba avec cette poutre sur les bandits. Ils restèrent quelques minutes les yeux fixés en l’air, plus consternés de ce morceau de bois que de vingt mille archers du roi.
« Satan ! grommela le duc d’Égypte, voilà qui flaire la magie
– C’est la lune qui nous jette cette bûche, dit Andry le Rouge.
– Avec cela, reprit François Chanteprune, qu’on dit la lune amie de la Vierge !
– Mille papes ! s’écria Clopin, vous êtes tous des imbéciles ! » Mais il ne savait comment expliquer la chute du madrier.
Cependant on ne distinguait rien sur la façade, au sommet de laquelle la clarté des torches n’arrivait pas. Le pesant madrier gisait au milieu du Parvis, et l’on entendait les gémissements des misérables qui avaient reçu son premier choc et qui avaient eu le ventre coupé en deux sur l’angle des marches de pierre.
Le roi de Thunes, le premier étonnement passé, trouva enfin une explication qui sembla plausible à ses compagnons.
« Gueule-Dieu ! est-ce que les chanoines se défendent ? Alors à sac ! à sac !
– À sac ! » répéta la cohue avec un hourra furieux. Et il se fit une décharge d’arbalètes et de hacquebutes sur la façade de l’église.
À cette détonation, les paisibles habitants des maisons circonvoisines se réveillèrent, on vit plusieurs fenêtres s’ouvrir, et des bonnets de nuit et des mains tenant des chandelles apparurent aux croisées. « Tirez aux fenêtres ! » cria Clopin. Les fenêtres se refermèrent sur-le-champ, et les pauvres bourgeois, qui avaient à peine eu le temps de jeter un regard effaré sur cette scène de lueurs et de tumultes, s’en revinrent suer de peur près de leurs femmes, se demandant si le sabbat se tenait maintenant dans le Parvis Notre-Dame, ou s’il y avait assaut de Bourguignons comme en 64. Alors les maris songeaient au vol, les femmes au viol, et tous tremblaient.
« À sac ! » répétaient les argotiers. Mais ils n’osaient approcher. Ils regardaient l’église, ils regardaient le madrier. Le madrier ne bougeait pas. L’édifice conservait son air calme et désert, mais quelque chose glaçait les truands.
« À l’œuvre donc, les hutins ! cria Trouillefou. Qu’on force la porte. »
Personne ne fit un pas.
« Barbe et ventre ! dit Clopin, voilà des hommes qui ont peur d’une solive. »
Un vieux hutin lui adressa la parole.
« Capitaine, ce n’est pas la solive qui nous ennuie, c’est la porte qui est toute cousue de barres de fer. Les pinces n’y peuvent rien.
– Que vous faudrait-il donc pour l’enfoncer ? demanda Clopin.
– Ah ! il nous faudrait un bélier. »
Le roi de Thunes courut bravement au formidable madrier et mit le pied dessus. « En voilà un, cria-t-il ; ce sont les chanoines qui vous l’envoient. » Et faisant un salut dérisoire du côté de l’église : « Merci, chanoines ! »
Cette bravade fit bon effet, le charme du madrier était rompu. Les truands reprirent courage ; bientôt la lourde poutre, enlevée comme une plume par deux cents bras vigoureux, vint se jeter avec furie sur la grande porte qu’on avait déjà essayé d’ébranler. À
Weitere Kostenlose Bücher