Révolution française Tome 1
qu’on a en 1770 marié à seize ans, avec
Marie-Antoinette d’Autriche, la plus jeune des héritières des Habsbourg, âgée d’à
peine quinze ans, lui dont on assure que durant plusieurs années il a été
incapable de consommer son mariage, et auquel on ne connaît aucune liaison :
« Ce qui a toujours perdu cet État-ci a été les femmes
légitimes et les maîtresses. »
Il n’aura vingt ans que dans quelques mois, il n’a jamais
régné, il ne s’est adonné avec passion qu’à la chasse, s’y livrant
quotidiennement depuis sa première chevauchée, en août 1769 – il avait quinze
ans – mais il a été témoin, à la Cour, des intrigues qui se nouaient autour de
la comtesse du Barry et du souvenir qu’avaient laissé Madame de Pompadour, ou
bien les favorites – et leurs bâtards légitimes – de Louis XIV. Ses tantes – les
sœurs de Louis XV –, le gouverneur des enfants de France, le duc de La Vauguyon,
l’ont mis en garde contre les femmes et l’influence qu’elles peuvent exercer
dans le gouvernement.
« C’est un malheur. »
Il a vu les sujets se détourner de Louis XV.
Et il s’est fait, peu à peu, une idée des devoirs d’un souverain.
Il a même rédigé une sorte de résumé de tous les enseignements qu’on lui a
prodigués, qu’il a intitulé Réflexions sur mes entretiens avec Monsieur de
La Vauguyon .
« Un bon roi, écrit-il, ne doit avoir d’autre objet que
de rendre son peuple heureux… »
Et pour cela il ne doit pas oublier les droits naturels de
ses sujets « antérieurs à toute loi politique et civile : la vie, l’honneur,
la liberté, la propriété des biens… Le prince doit donc réduire les impôts
autant qu’il peut…
Le roi doit être ferme et ne jamais se laisser aller à la
faiblesse. Il doit aussi connaître les hommes afin de ne pas être dupe… Le roi
tient de Dieu l’autorité souveraine, dont il ne doit compte qu’à Lui, mais s’il
asservit son peuple, il est coupable devant Dieu ».
Et les conseils qu’il reçoit d’un abbé qui fut le confesseur
de son père – l’abbé Soldani – achèvent de lui représenter le « métier de
roi » comme le plus exigeant, le plus austère, le plus difficile aussi qui
soit.
Il faut, lui a dit Soldani, « connaître sa religion, lutter
contre les écrits des philosophes, sans ménager les auteurs, protéger l’Église
sans épargner les mauvais prêtres ni les abbés avides… Évitez les favoris, tenez-vous
près du peuple, évitez le vain luxe, les dépenses, les plaisirs auxquels on
sait que vous tenez peu, du reste. Vous qui aimez le travail, sachez vous
reposer ; vous qui êtes frugal, ne vous laissez pas séduire ; soyez
bon avec tous, mais rappelez-vous que vous êtes l’héritier. Et puissiez-vous
régner le plus tard possible ».
Mais ce 10 mai 1774, il n’a pas vingt ans, quand il entend
tout à coup rouler vers lui, comme un bruit de tonnerre, le piétinement
impatient des courtisans qui ont abandonné l’antichambre du souverain décédé
pour venir saluer « la nouvelle puissance ».
Le roi est mort ! Vive le roi !
2
Louis est comme écrasé, étouffé.
« Quel fardeau, s’exclame-t-il, et on ne m’a rien
appris ! Il me semble que l’univers entier va tomber sur moi. »
Cette charge royale que Dieu lui confie, il craint depuis
plus de dix ans de ne pouvoir la supporter.
Longtemps, il a espéré ne pas monter sur le trône.
Il n’était que le deuxième fils du dauphin Louis-Ferdinand
et de la dauphine Marie-Josèphe de Saxe.
Le fils aîné, le duc de Bourgogne, était le successeur
désigné de Louis-Ferdinand, qui lui-même n’accéderait à la royauté qu’après la
mort de son père Louis XV.
Louis, duc de Berry, né le 23 août 1754, se sentait ainsi
protégé par ces trois vies qui le tenaient écarté du trône.
D’ailleurs, qui prêtait attention à cet enfant joufflu, puis
à ce garçon maigre, au regard vague des myopes, qui semblait incapable de
prendre une décision et dont la démarche même était hésitante ?
Son frère aîné, le duc de Bourgogne, attirait tous les
regards, toutes les attentions, et il traitait son cadet avec morgue, mépris, cependant
que ses précepteurs, le gouverneur des enfants de France, le duc de La Vauguyon,
le donnaient en modèle. Les frères cadets de Louis, duc de Berry, les comtes de
Provence et d’Artois, étaient, bien que plus encore éloignés du trône, moins
effacés.
Weitere Kostenlose Bücher