Révolution française Tome 2
fendue, par moments, ici et là, par l’éclat des baïonnettes. Un
des inspecteurs du Directoire leur a lu un rapport effrayant : on menace
la République. Une journée sanglante se prépare. Les observateurs de police
signalent des conciliabules, des rassemblements.
« L’embrasement va devenir général. La République aura
existé et son squelette sera dans la main des vautours. »
Tout est imprécis. Mais les Anciens se souviennent des
journées révolutionnaires, des têtes brandies au bout des piques.
Il faut sauver le pays des vautours et protéger leur vie.
On vote par acclamation un décret en cinq parties. Le Corps
législatif sera transféré à Saint-Cloud. Bonaparte est nommé commandant de la
17 e division.
« Il prendra toutes les mesures nécessaires pour la
sûreté de la représentation nationale. Il devra se présenter devant le Conseil
des Anciens pour prêter serment. »
Bonaparte attend ce décret, rue de la Victoire, chez lui, pâle,
vêtu d’un uniforme sans parement.
Les officiers, les généraux qu’il a convoqués se pressent
dans les jardins et les salons, bottés, en culotte blanche, avec leur bicorne à
plumet tricolore.
Bonaparte convainc les hésitants, ainsi le général Lefebvre
qui commande les troupes de la région de Paris et la garde nationale du
Directoire, et qu’il doit remplacer.
Aux uns et aux autres, il dénonce ces « gens qui avocassent
du matin au soir », qui ont conduit la nation au bord du gouffre. Vers
huit heures, deux inspecteurs questeurs du Conseil des Anciens, accompagnés d’un
« messager d’État » en tenue d’apparat, fendent la foule des
officiers, viennent présenter le texte du décret voté par les Anciens.
Bonaparte le signe, le brandit, en donne lecture aux
généraux et officiers : il est légalement le chef de toutes les troupes.
Les militaires tirent leurs épées, et l’acclament.
À cheval !
Plus de soixante généraux, suivis de leurs officiers, chevauchent
vers les Tuileries. Les dragons de Murat les entourent.
On les acclame depuis les fenêtres. On court derrière eux
jusqu’à la place de la Concorde, où une foule déjà s’est rassemblée.
On crie : « Vive le Libérateur ! », quand
on voit Bonaparte entrer dans les Tuileries suivi de quelques généraux.
Dans la salle où s’est réuni le Conseil des Anciens, on le
sent à la tribune, face à ces députés aux tenues brodées, les hauts cols
galonnés encadrant leur visage, hésitant et emprunté.
Il n’aime pas, il l’a dit, les « assemblées d’avocats ».
Mais il doit parler.
« Citoyens représentants, la République périssait, commence-t-il.
Vous l’avez su et votre décret vient la sauver. Malheur à ceux qui voudraient
le trouble et le désordre ! Je les arrêterai, aidé du général Lefebvre, du
général Berthier et de tous mes compagnons d’armes. »
« Nous le jurons », répètent les généraux.
On l’applaudit. Un député se dresse, tente de dire que les
députés du Conseil des Anciens que l’on savait hostiles n’ont pas été convoqués,
qu’il faut respecter la Constitution. Mais le président lève la séance. On se
réunira demain à Saint-Cloud.
Le Conseil des Cinq-Cents, au Palais-Bourbon, est du fait de
la Constitution contraint d’interrompre ses débats, de respecter le décret voté
par les Anciens.
Il est onze heures.
Bonaparte caracole devant les troupes, dans le jardin des
Tuileries, on l’acclame. Il aperçoit François Marie Bottot, qu’on appelle l’« agent
intime de Barras », son espion, son secrétaire.
Bonaparte pousse son cheval contre Bottot, s’adresse à lui, comme
s’il parlait à tout le Directoire, « L’armée s’est réunie à moi et je me
suis réuni au corps législatif », dit-il.
On l’applaudit.
« Qu’avez-vous fait de cette France que je vous avais
laissée si brillante ? poursuit-il. Je vous ai laissé la paix ! J’ai
retrouvé la guerre. Je vous ai laissé des victoires ! J’ai retrouvé des
revers ! Je vous ai laissé les millions d’Italie ! J’ai retrouvé
partout des lois spoliatrices et de la misère ! »
Les applaudissements redoublent.
« Qu’avez-vous fait des cent mille Français que je
connaissais, mes compagnons de gloire ? Ils sont morts ! Cet état de
chose ne peut durer : avant trois ans il nous mènerait au despotisme. Mais
nous voulons la République assise sur les bases de l’égalité, de la
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