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Sur le quai

Titel: Sur le quai Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Pecunia
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vers treize heures pour la France, pour Paris. Il peut
partir sans vous ou avec vous, dit le policier en détachant ses
mots. Bavardons un peu et je vous raccompagnerai jusqu’à la
frontière que vous passerez discrètement… Mais je garderai votre
passeport, comme gage.
    Alexandre Caillard réalise seulement à ce moment-là qu’il
s’exprime en un très bon français, sans accent aucun.
    – Vous savez, dit le policier comme s’il avait lu dans ses
pensées, je connais très bien la France, vos amis anarchistes. J’y
passe beaucoup plus de temps qu’en Espagne. La France est un peu ma
deuxième patrie. J’admire beaucoup votre de Gaulle. C’est un grand
chef pour le peuple français.
    L’autre policier, le plus jeune, âgé d’une trentaine d’années,
s’est rapproché et assis au côté d’Alexandre Caillard depuis
quelques instants.
    – Juan Antonio, dit le commissaire qui s’appelle José
Perez, je te présente notre nouvel ami, Alexandre.
    Le jeune inspecteur lui tend la main en souriant.
    Alexandre Caillard ne se rend pas compte qu’il la lui serre. Ses
pensées sont contradictoires. Il se sent impuissant, seul, loin des
copains, à la merci de ces deux hommes. Qu’ils aient pu le trouver
en ce lieu lui semble incompréhensible. Il se sent découragé,
lâche. Mais il ne veut pas aller en prison.
    Alexandre Caillard n’a touché ni à son café ni à son
sandwich.
    Aucun serveur n’est venu s’enquérir de la commande des deux
policiers.
    Le commissaire Perez sort un calepin qu’il pose sur la table
devant Alexandre Caillard.
    – Écrivez-moi les noms de ceux qui opèrent actuellement,
dit-il en le tapotant d’une main et en tendant un stylo à bille à
Alexandre Caillard.
    Mécaniquement, il inscrit trois noms.
    Le commissaire reprend son calepin et regarde son collègue en
souriant.
    – Nous avions les mêmes, dit-il au jeune homme en souriant
largement tout en rangeant son calepin. Vous voyez, c’est un bon
début pour une saine collaboration.
     
     
     
     
     
     
    3
     
     
     
     
     
    C’est comme ça qu’il s’était fait piéger en cette fin de matinée
du 6 avril 1963.
    Les trois camarades qu’il avait donnés furent arrêtés, deux le
jour même, dont son ami Jean Lestrade, et le dernier le
lendemain.
    « De toute façon, s’était-il dit, Jean ne pouvait
être  qu’arrêté et il aurait réagi comme moi s’il s’était
retrouvé dans ma situation. »
    Et puis, il s’agissait de sa peau, et on n’a qu’une vie.
    Les lâches prêtent toujours leurs pensées aux autres.
    L’héroïsme, c’est pour ceux qui ont de la chance.
    La seule chose qui l’ennuyait était que ses camarades pussent
l’apprendre. Mais, quand il rentra à Paris, ils le félicitèrent de
sa chance et les arrestations furent mises sur le compte d’un
malheureux enchaînement de hasards.
    Alexandre Caillard s’étonna de ne pas éprouver de remords ou de
tourment quelconque à l’égard de son ami – les deux autres étaient
des camarades qu’il connaissait à peine. Et, si sa conscience ne
trouvait rien à redire, c’était bien la preuve qu’il n’avait rien à
se reprocher. Cela le conforta dans sa conviction qu’il avait
simplement fait le bon choix dans une situation difficile.
    Il fit même chorus avec l’un des responsables, Pablo, quand
celui-ci évoqua la possibilité que l’un des trois qui venaient
d’être arrêtés ait pu donner les deux autres.
    – Toi qui le connais bien, tu penses que Jean aurait pu
faire ça ? lui avait-il demandé en aparté.
    Il eut la sagesse de ne pas se porter garant de son ami.
D’ailleurs, il ne l’enfonça pas non plus.
    Alexandre Caillard se contenta d’une moue dubitative.
    Consoler la copine éplorée de Lestrade lui parut la chose la
plus naturelle. De toute façon, il avait toujours eu envie de
coucher avec. Mais, la conne, même si elle n’était pas farouche,
elle y tenait à son Jeannot. En plus, elle le voyait presque en
héros. Il lui avait fallu tout un travail de sape pour parvenir à
ses fins. Mais tout s’accéléra quand il lui révéla, comme à
contrecœur – « Je ne sais pas si je dois te le dire » –,
que les camarades se posaient des questions à propos de Jean.
    Les nécessités naturelles firent le reste.
    En fait, s’il faisait le bilan, d’avoir voulu baiser Dany,
c’était la seule chose qu’il ait eu à réellement regretter dans son
existence. Car, ensuite, il n’avait jamais pu

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