Traité du Gouvernement civil
fait la personne qui l'a reçue, et ne se plus servir d'elle, lorsqu'elle ne se conforme pas à ce qui lui a été prescrit ? S'il n'y a rien de si raisonnable et de si juste dans les cas particuliers des hommes prives, pourquoi ne serait-il pas permis d'en user de même à l'égard d'une chose aussi importante qu'est le bonheur d'un million de personnes, et lorsqu'il s'agit de prévenir les malheurs les plus dangereux et les plus épouvantables; des malheurs d'autant plus à craindre qu'il est presque impossible d'y remédier, quand ils sont arrivés ?
241. Du reste, par cette demande, qui en jugera? on ne doit point entendre qu'il ne peut y avoir nul juge; car, quand il ne s'en trouve aucun sur la terre pour terminer les différends qui sont entre les hommes, il y en a toujours un au Ciel. Certainement, Dieu seul est juge, de droit : mais cela n'empêche pas que chaque homme ne puise juger pour soi-même, dans le cas dont il s'agit ici, aussi bien que dans tous les autres, et décider si un autre homme s'est mis dans l'état de guerre avec lui, et s'il a droit d'appeler au souverain juge, comme fit Jephté.
242. S'il s'élève quelque différend entre un Prince et quelques-uns du peuple, sur un point sur lequel les lois ne prescrivent rien, ou qui se trouve douteux, mais où il s'agit de choses d'importance; je suis fort porté à croire que dans un cas de cette nature, le différend doit être décidé par le corps du peuple. Car, dans des causes qui sont remises à l'autorité et à la discrétion sage du Prince, et dans lesquelles il est dispensé d'agir conjointement avec l'assemblée ordinaire des législateurs, si quelques-uns pensent avoir reçu quelque préjudice considérable, et croient que le Prince agit d'une manière contraire à leur avantage, et va au-delà de l'étendue de son pouvoir; qui est plus propre à en juger que le corps du peuple, qui, du commencement, lui a conféré l'autorité dont il est revêtu, et qui, par conséquent, sait quelles bornes il a mises au pouvoir de celui entre les mains duquel il a remis les rênes du gouvernement ? Que si un Prince ou tout autre qui aura l'administration du gouvernement de l'État, refuse ce moyen de terminer les différends; alors, il ne reste qu'à appeler au Ciel. La violence, qui est exercée entre des personnes qui n'ont nul juge souverain et établi sur la terre, ou celle qui ne permet point qu'on en appelle sur la terre à aucun juge, étant proprement un état de guerre, le seul parti qu'il y a à prendre, en cette rencontre, c'est d'en appeler au Ciel : et la partie offensée peut juger pour elle-même, lorsqu'elle croit qu'il est à propos d'en appeler au Ciel.
243. Donc, pour conclure, le pouvoir que chaque particulier remet à la société dans laquelle il entre, ne peut jamais retourner aux particuliers pendant que la société subsiste, mais réside toujours dans la communauté; parce que, sans cela, il ne saurait y avoir de communauté ni d'État, ce qui pourtant serait tout à fait contraire à la convention originaire. C'est pourquoi, quand le peuple a placé le pouvoir législatif dans une assemblée, et arrêté que ce pouvoir continuerait à être exercé par l'assemblée et par ses successeurs, auxquels elle aurait elle-même soin de pourvoir, le pouvoir législatif ne peut jamais retourner au peuple, pendant que le gouvernement subsiste; parce qu'ayant établi une puissance législative pour toujours, il lui a remis tout le pouvoir politique; et ainsi, il ne peut point le reprendre. Mais s'il a prescrit certaines limites à la durée de la puissance législative, et a voulu que le pouvoir suprême résidât dans une seule personne ou dans une assemblée, pour un certain temps seulement, ou bien, si ceux qui sont constitués en autorité ont, par leur mauvaise conduite, perdu leur droit et leur pouvoir; quand les conducteurs ont perdu ainsi leur pouvoir et leur droit, ou que le temps déterminé est fini, le pouvoir suprême retourne à la société, et le peuple a droit d'agir en qualité de souverain, et d'exercer l'autorité législative, ou bien d'ériger une nouvelle forme de gouvernement, et de remettre la suprême puissance, dont il se trouve alors entièrement et pleinement revêtu, entre de nouvelles mains, comme il juge à propos.
FIN
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* Contra Monarchom., lib. III, ch. 8.
* Contra Monarchom., lib. III, ch. 16.
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