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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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conduite aux prisons de l’Abbaye. Je n’ai pas
beaucoup dormi la première nuit. J’entendais les
canons de la Garde, en l’honneur de Marat. Beaucoup
de bruit pour rien. Aujourd’hui, le bourreau devient
martyr. Mais vous connaissez le peuple : on le change
en un jour. Il prodigue aisément sa haine et son amour.
On mettra son corps au Panthéon et puis, bientôt, on
l’en retirera. Je n’ai pas beaucoup dormi, disais-je, alors
j’ai prié.

    Silence. Il ne peint plus, il me regarde.

    — Vous croyez en Dieu ?

    — Je prie pour qu’Il existe.

    — Et à la vie après la mort ?

    — La question est vaine : le secret est bien gardé.

    — Vous êtes-vous confessée ?

    — Non. On m’a envoyé un prêtre assermenté. J’ai
refusé ses services. J’irai sans prêtre porter ma tête à la
guillotine.

    — Avez-vous peur ?

    — Oui, cela m’arrive. Alors je me remémore ce vers
de Corneille : Mourir pour le pays n’est pas un triste sort,
c’est s’immortaliser par une belle mort.

    Il continue :

    — J’ai assisté au procès.

    — Je sais. Je vous voyais, derrière la colonne.

    — Vous étiez très belle.

    — Vous parlez déjà de moi au passé ?

    — Je veux dire... vous êtes très belle.

    — Merci.

    — Vous auriez dû plaider la folie.

    — Me croyez-vous folle ?

    — Non. Mais c’eût été la seule façon de sauver votre
tête.

    — Et c’eût été une humiliation. On dit que le président Montané, qui s’est pris de sympathie pour moi,
conseilla à mon défenseur de plaider la folie. J’ai
refusé. Il fit de son mieux : mon geste, dit-il, ne pouvait
s’expliquer que par l’exaltation du fanatisme politique
qui m’avait mis le poignard dans la main. Il m’a
défendue avec courage, d’une manière digne de lui et
de moi. Ce Chauveau-Lagarde est un homme bien. Pas
comme le citoyen Doulcet, ce lâche que j’avais choisi
pour assurer ma défense et qui a refusé lorsque lachose était si facile. Je vais lui écrire une lettre pour lui
exprimer ma colère.

    — Et puis ce fut le prononcé du jugement...

    — Je ne m’attendais à rien d’autre que la mort.
Lorsqu’on me donna la parole une dernière fois, je
demandai seulement que vous fûtes autorisé à achever
mon portrait. Et vous voilà ici, dans ma cellule.

    Il recule. Pose ses yeux sur le tableau, puis sur moi,
puis sur le tableau. Le portait est achevé.

    — J’espère ne pas vous décevoir, me dit-il.

    Il me tend le dessin. Il m’a représentée telle que je
suis, avec le bonnet que j’ai confectionné, avec ma robe
blanche, avec mes longs cheveux châtains que bientôt
ils couperont.

    — C’est très bien. Je ne sais comment vous remercier. Pouvez-vous en faire parvenir une copie miniature
à ma famille ?

    — Je vous le promets.

    J’entends des pas. Ce sont l’exécuteur et ses aides
qui viennent me chercher.

    — Quoi, déjà ?

    — Il est l’heure.

    J’ôte mon bonnet, demande au bourreau de me
laisser terminer ma lettre au citoyen Doulcet. Il
accepte. Puis je lui demande de me prêter ses ciseaux.
La requête le surprend, mais peut-on refuser les dernières volontés d’une condamnée ? Il me laisse faire. Je
coupe une mèche et la tend au citoyen Hauer. Je n’ai
que cela à lui offrir. Tel donne à pleines mains qui
n’oblige personne : la façon de donner vaut mieux
que ce qu’on donne. Je lui dis : « Pour vous montrerma reconnaissance. Veuillez bien la conserver comme
souvenir. » Ses yeux brillent, il ne pleure pas. Il se
retient. Pour une larme, on pourrait l’envoyer sur
l’échafaud. Il me baise la main et murmure : « Adieu,
mademoiselle. »

    Le bourreau et ses aides veulent me lier les pieds.
Je refuse. La loi l’exige. Dura lex, sed lex . Alors je me
laisse faire. Et puis on me coupe les cheveux. J’enfile
ensuite la chemise rouge, réservée aux condamnés
à mort pour crime d’assassinat. J’avais pensé garder
mes gants mais le bourreau m’a assuré qu’il saurait
me lier les mains sans me faire aucun mal. Il serre le
moins possible. Je prends congé du citoyen Richard et
de sa femme, qui ont été si bons pour moi.

    On sort dans la cour.

    La charrette m’attend. On me donne un tabouret,
mais je sais déjà que je resterai debout. Je veux regarder
la foule dans les yeux. On ne meurt qu’une fois. C’est
la fin qui couronne l’œuvre.

 
    LA GORGE DE LA REINE
     

    3 juillet 1793

    Qu’est-ce qu’un

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