Un vent d'acier
plupart d’entre eux avaient disparu. Ils se cachaient encore dans Paris, assurément. On en aurait ressaisi un bon nombre si on l’avait voulu. Danton ne s’en souciait pas, et ni Robespierre ni Marat ne donnaient aucun signe de le vouloir. Du reste, pensait Claude, il fallait que ses propres recommandations, pour empêcher les Brissotins suspendus de s’enfuir en province, aient été annulées par Marat en personne. Dangereuse mansuétude. Lui-même, bien entendu, ne songeait point à user de rigueur envers ces hommes. Il ne les aurait pas moins retenus très fermement à Paris. On ne surveillait même pas sérieusement ceux qui restaient. Ils correspondaient, recevaient des visites, sortaient, gardés chacun par un seul gendarme. Le ministre Lebrun venait sous l’œil du sien travailler au Comité de Salut public, auquel les Montagnards avaient fait adjoindre Saint-Just, Couthon, Hérault-Séchelles, Ramel, ci-devant de Nogaret, et Mathieu.
Ce renfort était bien nécessaire pour lutter contre les ravages du fédéralisme. Aux nouvelles du 31 mai, puis du 2 juin, la province achevait de prendre feu. L’insurrection touchait à cette heure soixante départements. Les rapports que Claude recevait des représentants en mission donnaient le vertige. Robert Lindet, délégué par le Comité pour prendre la situation en main à Lyon, venait de trouver la grande cité entièrement au pouvoir des royalistes alliés aux Brissotins du cru, mandait-il. S’étant rendus maîtres de l’Hôtel de ville après un dur combat, ils avaient emprisonné la municipalité montagnarde et se déclaraient en guerre ouverte avec la Convention. Les représentants Roux et Antiboul, chassés de Marseille, faisaient savoir que les modérés, avec Rebecqui, s’associaient aux aristocrates pour combattre les Jacobins locaux qu’ils arrêtaient par centaines et traduisaient devant un tribunal contre-révolutionnaire. De Bordeaux, les représentants ne pouvaient plus écrire, ils étaient arrêtés. À leur place, des Montagnards signalaient qu’une prétendue commission populaire, évinçant les autorités constituées, en partie complices, avait mis la main sur les caisses publiques, levait des troupes et invitait les départements voisins à se fédérer contre Paris. Prieur et Romme, en mission dans le Calvados, étaient incarcérés par les fédéralistes de cinq départements bretons et trois de la Normandie, qui constituaient à Caen une « Assemblée centrale de résistance à l’oppression ». Elle disposait d’une petite armée, celle des Côtes de Cherbourg, formée par les gardes nationales de ces départements : environ dix mille hommes, sous les ordres du général Wimpffen, ancien constituant. Il s’était rangé dans le clan des rebelles.
Tandis que Saint-Just et Séchelles se hâtaient de mettre au point le projet de constitution républicaine préparé par Robespierre, Claude, se partageant la tâche avec Ramel, Couthon et Mathieu, s’efforçait de maintenir dans l’obéissance à la Convention les départements du Centre, bastion naturel entre les provinces révoltées. Dans ce but, il n’avait pas hésité à placer sous la surveillance du Comité de Sûreté générale, renouvelé et dantonisé, Rivaud du Vignaud, Lesterpt, Soulignac, Faye : ses quatre collègues de la Haute-Vienne, et même Bordas malgré son retour à la ligne montagnarde. On lisait leurs lettres adressées aux autorités de Limoges. Les réponses de Durand Richemond, président de l’administration départementale, bien que très prudentes, trahissaient l’inclination de ces autorités au girondisme. Xavier Audouin, mais surtout le citoyen évêque Gay-Vernon qui disposait de loisirs, combattaient cette influence par une correspondance assidue avec la Société jacobine de Limoges. Ils l’informaient au jour le jour, entretenaient son zèle, indiquaient les mesures à prendre pour intimider les administrateurs girondinisant, les contraindre, en imposer avec énergie aux districts incorrigiblement rétrogrades, comme ceux de Saint-Yrieix, du Dorat, d’Eymoutiers, toujours prêts à saisir l’occasion de faire obstacle au mouvement révolutionnaire et démocratique.
Ainsi éperonnée, la Société des Amis de la République dénonça, de Limoges, au Comité de Salut public les quatre brissotistes de la députation limousine. Claude n’avait aucune envie de sévir contre ses collègues et compatriotes, coupables seulement
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