Un vent d'acier
première. Cette seconde salve, c’en fut plus que les soldats novices n’en pouvaient supporter. Déjà terrifiés, tourbillonnant au hasard, ils prirent leurs jambes à leur cou pour fuir ce champ de carnage jonché de corps – qui se relevaient un à un après s’être jetés à terre sous le coup de la peur.
« Qu’est-ce que tu attends, toi ? lançait un maratiste à un gros garçon obstinément allongé sur la terre maternelle.
— Ma doué ! Je suis mort.
— Veux-tu me foutre le camp, espèce de fantôme ! »
Les Parisiens ramassaient les armes abandonnées. On ne comptait pas une seule victime. Les bataillons bretons, composés de véritables volontaires et non de culs-terreux payés, avaient tenu, un instant. Mais, pris dans le torrent de la déroute, menacés par les gendarmes qui talonnaient les fuyards, ils étaient emportés à leur tour. La débandade ne s’arrêta même pas à Évreux, et ce furent des troupes en désordre, sans armes pour la plupart, qui arrivèrent à Caen. Wimpffen proposa de se retrancher là, en force, d’y attendre l’assaut des « maratistes ». C’était irréalisable : les bataillons vaincus n’arrivaient à Caen que pour se disperser. Ils ne voulaient plus se battre, ils n’en avaient plus de raison.
C’est que la Convention, joignant aux preuves de sa fermeté de diplomatiques mesures, avait pris les meilleurs moyens pour apaiser la révolte. Ayant achevé la Constitution républicaine, elle offrait l’amnistie aux autorités « égarées », tout en menaçant de mettre hors la loi celles qui s’obstineraient dans la rébellion. En même temps, elle amendait l’impôt sur les riches. Il ne toucherait qu’aux revenus supérieurs à dix mille francs, c’est-à-dire aux grosses fortunes. Elle augmentait les traitements des fonctionnaires. Elle distribuait à tous les villageois, en parts égales, les terrains communaux. Plusieurs millions de citoyens accédaient ainsi à la propriété ou voyaient s’accroître leur lopin. Elle démocratisait l’achat des biens nationaux en les fractionnant, en accordant aux acquéreurs un délai de dix ans pour payer. Enfin, par l’institution du Grand livre de la Dette publique – œuvre de Cambon – elle garantissait aux rentiers leur créance. Tout cela s’était accompli en moins d’un mois, dans l’unanimité, dans un calme étonnant après les tumultes passés. Beaucoup de rebelles se mettaient à croire qu’on les avait trompés, que la révolution du 31 mai était effectivement un bienfait national. Toute la région se ralliait au nouveau régime. Les administrateurs du Calvados abandonnèrent l’Assemblée centrale agonisante.
Puisaye et Wimpffen se démasquèrent alors. « Le seul moyen de poursuivre la lutte contre la Montagne, c’est de chercher hors du territoire un allié puissant », dirent-ils aux proscrits, et ils leur proposèrent de les mettre en rapport avec le cabinet de Londres. Louvet eut la certitude que l’infâme Puisaye avait combiné sa propre défaite pour en arriver là. Croyait-il donc que l’on allait donner dans ce traquenard !
En vérité, certains d’entre eux n’auraient pas vu d’un mauvais œil la restauration d’une monarchie constitutionnelle, mais aucun n’admettait une intervention étrangère. Claude ne se trompait point en les jugeant non moins patriotes que lui. Tous refusèrent avec indignation. Le jour même, pendant que le département s’apprêtait à faire sa soumission entre les mains de Robert Lindet envoyé par le Comité de Salut public, ils sortirent de Caen mêlés aux volontaires d’Ille-et-Vilaine. Proscrits par le Calvados rentré dans l’obéissance, susceptibles d’être arrêtés à tout instant, les « fondateurs de la république », comme disait Louvet, devaient se dissimuler sous l’uniforme des gardes nationaux bretons et se confondre avec eux, afin de gagner le Finistère. Ils comptaient pouvoir s’embarquer là pour Bordeaux. Le vieux rêve d’une Aquitaine triomphante restait leur dernière chance. Beaucoup n’y croyaient plus. Kervelegan avait déjà gagné Quimper pour s’y tenir caché. Lanjuinais, Rennes.
II
Entre-temps, Paris avait connu une petite révolution de palais, dont personne, hormis les intéressés, ne s’était aperçu. Le 10 juillet, le Comité de Salut public, prorogé de mois en mois jusque-là, avait été soudain renouvelé par la Convention et ramené, sur une motion de
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