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Vers l'orient

Vers l'orient

Titel: Vers l'orient Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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leurs
yeux le titre de prêtre. Nous trouvâmes en lui un homme aussi bon que sage,
sous tous rapports admirable, en somme. En tout cela, il satisfaisait donc
parfaitement au portrait type qu’on a pu tracer du Prêtre Jean, à l’exception du
fait qu’il ne régnait sur aucun vaste domaine populeux, mais tout au plus sur
une vingtaine de familles dépenaillées de misérables chevriers sans terres.
    Nous fîmes la connaissance de cette bande de gardiens
de chèvres un soir où nul caravansérail ne s’était présenté sur notre chemin.
Ils nous invitèrent à partager leur terrain de campement au beau milieu de leur
troupeau. Nous passâmes donc la soirée en compagnie de leur Presbyter Vizan.
    Bien que nous n’eussions partagé qu’un repas frugal
autour d’un petit feu de camp, mon père et mon oncle engagèrent avec lui une
discussion théologique approfondie, en profitant pour démonter habilement un
grand nombre des hérésies que le vieux bédouin chérissait le plus. Mais il ne
parut pas plus anéanti que cela, ni ne sembla prêt à renoncer pour autant aux
vagues lambeaux de croyances qu’ils lui laissèrent. Il orienta plutôt avec
bonne humeur la conversation sur la cour royale de Bagdad que nous venions de
quitter, pour s’enquérir des éventuels parents qu’il pouvait y avoir conservés.
Nous lui donnâmes les meilleures nouvelles des siens, sans lui cacher cependant
combien la pesante tutelle du khan les ennuyait. Le vieux Vizan sembla heureux
de ces informations, mais ne parut pas regretter le confort qu’il avait connu
jadis à la cour royale. Ce n’est que lorsque l’oncle Matteo vint à mentionner
la shahrpiryar Shams – ce qui provoqua en moi un sursaut involontaire – que le
vieil évêque chevrier émit un soupir dénotant une certaine nostalgie.
    — La princesse douairière est donc encore
vivante ? demanda-t-il. Elle doit bien approcher à présent les
quatre-vingts printemps, comme moi.
    J’en tressaillis derechef. Il demeura un instant
silencieux, prit un bâton et fourragea le feu, semblant profondément perdu dans
ses pensées sentimentales, avant de reprendre :
    — Sans doute n’est-ce plus très visible de nos
jours, mais – et vous aurez sans doute du mal à me croire, mes bons amis –
cette princesse Lumière du Soleil a été, dans sa jeunesse, la plus belle femme
de Perse, si ce n’est la plus belle femme de tous les temps.
    Mon oncle et mon père se contentèrent d’un poli mais
évasif murmure. Le simple souvenir de cette vieille bique ratatinée et ravagée
par les ans me donnait encore la chair de poule.
    — Ah, au temps où nous étions jeunes, elle et
moi..., dit-il pensivement, noyé dans ses rêves. J’étais encore à l’époque
prince de Tabriz, et elle était la shahzrad, la fille aînée du shah de Kerman.
Dès que la rumeur de sa beauté sans pareille m’atteignit, j’accourus de Tabriz,
comme d’innombrables autres princes avec moi, venus d’aussi loin que de Saba ou
du Cachemire. Et quand je la découvris, je ne fus point déçu.
    Je ne pus m’empêcher d’émettre à cet instant un bref
soupir qui trahit assez impoliment mon incrédulité, mais heureusement il ne l’entendit
point.
    — Je pourrais vous décrire les yeux rayonnants,
les lèvres de rose et la grâce de saule pleureur dont était dotée cette jeune
fille, mais cela ne pourrait suffire à vous la dépeindre. Croyez-moi, un seul
regard sur elle suffisait amplement à donner la fièvre à tout homme, tout en
constituant une vision des plus rafraîchissante. Elle ressemblait à... à un
champ de trèfles réchauffé par le soleil avant d’être rincé d’une douce pluie.
Oui... c’est sans doute la créature la plus délicatement parfumée que Dieu ait
jamais créée sur cette Terre. Le simple fait de sentir cette fragrance suffit
encore à me rappeler la belle et jeune princesse Shams.
    Comparer une femme à un champ de trèfles, pensai-je,
voilà bien la marque de l’esprit rustique d’un gardien de chèvres. Le jugement
du vieil homme était certainement altéré par des décennies de fréquentation de
chèvres crasseuses et de nestoriens guère plus propres.
    — Il n’était pas homme dans toute la Perse,
continua le vieux prêtre, qui ne fut prêt à risquer une raclée de l’un des
gardes du palais de Kerman, juste pour se faufiler à la dérobée autour des
jardins et jeter un bref coup d’œil sur la princesse Lumière quand elle s’y
promenait.

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