Vers l'orient
supérieur qui encadrait cent hommes. Ce système pyramidal se
prolongeait ainsi suivant une progression décimale. Un groupe de dix capitaines
en chef était chapeauté par un capitaine de drapeau qui avait un millier d’hommes
sous sa bannière. Et dix armées de ce type obéissaient à un sardar qui
commandait dix mille hommes. Le mot mongol toman, qui signifie
« dix mille », désigne également la queue du yack, et le sardar portait
en guise de drapeau un plumet de ces appendices touffus fixé en haut de sa
hampe.
C’est un système de commandement d’une efficacité
redoutable car, quel que soit son rang, du capitaine au sardar, l’officier
mongol n’a sous sa coupe que neuf de ses pairs avec lesquels se concerter pour
prendre une décision ou organiser un plan d’action. Au-dessus du sardar, il
n’existe qu’un seul rang. C’est l’orlok, qui signifie plus ou moins
« commandant en chef », dont l’autorité s’impose à au moins dix sardar et leurs toman, et parfois plus, soit une armée composée de cent
mille hommes, au bas mot !
Son pouvoir est si impressionnant qu’il ne peut être
conféré qu’à un authentique ilkhan en titre, descendant en droite ligne de
Gengis lui-même. L’armée qui campait dans ce bok ne représentait ainsi
qu’une partie des forces regroupées sous le commandement de celui qui était à
la fois l’orlok et l’ilkhan Kaidu.
Tout officier mongol, du capitaine au sardar, doit
être pour la troupe qu’il encadre ce que fut Moïse pour les Israélites durant
l’Exode. Responsable des déplacements effectués par les hommes, les femmes et
les enfants dont il a la charge – y compris les vétérans qui, bien qu’inutiles
à l’armée en marche, ont le droit de refuser de passer leur retraite cantonnés
dans une garnison –, cet officier est aussi chargé de superviser
l’approvisionnement du groupe. Il doit donc veiller à ce qu’un nombre suffisant
de bêtes suivent ses troupes : bétail pour l’alimentation, chevaux des
cavaliers et yacks, ânes ou mules pour le transport des bagages. En ne comptant
que les chevaux, chaque Mongol voyage en moyenne, si l’on cumule destriers de
guerre et juments à kumis, avec pas moins de dix-huit équidés.
Des divers noms d’officiers mentionnés par mes hôtes,
je n’en avais reconnu qu’un : celui de l’ilkhan Kaidu. C’est pourquoi je
finis par leur demander s’ils avaient déjà été menés à la bataille par le
khakhan Kubilaï en personne, que j’escomptais bien rencontrer dans un futur
point trop éloigné. Ils n’avaient jamais eu ce grand honneur, mais avaient
quand même réussi à l’apercevoir une ou deux fois, de plus ou moins loin. Il
était, selon eux, d’une beauté virile, avait l’air d’un fier guerrier, et tous
s’accordaient à lui reconnaître la sagesse d’un homme d’Etat. Mais, au dire de
tous, sa qualité la plus impressionnante était son redoutable caractère.
— Il est plus farouche que notre indomptable
ilkhan Kaidu lui-même, fit respectueusement remarquer l’un des hommes. Nul
n’oserait endurer le courroux du khakhan Kubilaï. Pas même Kaidu.
— Ni le moindre élément du ciel ou de la terre,
renchérit un autre. C’est pourquoi, lorsque le ciel tonne, les gens crient le
nom du khakhan : « Kubilaï ! » afin que la foudre ne les
atteigne pas. J’ai moi-même entendu notre Kaidu, qui pourtant ne craint rien ni
personne, invoquer ainsi son nom.
— C’est vrai, confirma un troisième. En la
présence du khakhan Kubilaï, le vent se garde de souffler trop fort et la pluie
de tomber trop dru. Elle se limite à une modeste bruine et prend bien garde de
ne pas éclabousser ses bottes de la moindre gouttelette de boue. Même l’eau de
la cruche se rétracte craintivement devant lui.
Je fis remarquer que cela ne devait pas être bien
pratique lorsqu’il avait soif, ce qui constituait à l’égard de l’homme le plus
puissant du monde une remarque à la limite du sacrilège. Mais aucun des hommes
présents ne leva même un sourcil, car nous étions déjà tous, à cet instant,
assez solidement imbibés. Nous nous trouvions de nouveau assis en rond dans la
yourte, et mes hôtes avaient ouvert plusieurs autres flacons de kumis. J’avais
moi-même sifflé une dose conséquente de leur excellent arkhi. Jamais
vous ne verrez un Mongol se contenter d’un seul verre ou laisser l’un de ses
invités n’en boire qu’un, car, dès que ce dernier
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