Vers l'orient
morceaux de viande, les mains, les
dents et les lèvres dégoulinantes de sang. En revanche, si les hommes
mangeaient sans dire un mot, la femme, entre deux bouchées, était plus
volubile.
Je compris qu’elle s’amusait au sujet de la nouvelle
épouse que son mari avait acquise. (Il n’y a aucune limite au nombre de femmes
qu’un Mongol peut épouser, du moment qu’il a les moyens de leur procurer à
chacune une yourte séparée.) La jeune femme fit remarquer de façon acide qu’il
était ivre mort lorsqu’il avait demandé la main de cette dernière. Tous les
hommes se mirent à glousser, y compris le mari incriminé. Tous continuèrent de
hennir et de pouffer à la longue liste de ses déficiences présumées, énoncées à
l’évidence sur le ton de la rivalité amoureuse. Et lorsqu’elle conclut son
désopilant exposé en suggérant que, comme les hommes, elle devait sans doute
uriner debout, ils s’étranglèrent presque de rire et se roulèrent sur le tapis.
Ce n’était certainement pas la chose la plus drôle que
j’aie entendue de ma vie, mais, ce qui est certain, c’est que les femmes
mongoles jouissent d’une plus grande liberté que toutes les autres en Orient.
Si l’on excepte leur beauté et leur charme, elles n’ont rien à envier aux
Vénitiennes : pleines de vie et de bonne humeur, elles démontrent par leur
attitude qu’elles se sentent égales à leurs hommes, comme le seraient des
camarades, leur seule différence tenant aux fonctions qu’occupent les uns et
les autres, et aux responsabilités qu’ils assument dans la vie.
N’allez pas croire pour autant que les Mongols ne
savent que rester assis à ne rien faire pendant que leurs femmes triment. Du
moins, pas tout le temps. Après le repas, mes hôtes se promenèrent avec moi à
travers le bok, me montrant des hommes occupés à divers travaux manuels
militaires : fabrication de flèches, confection ou entretien des armures,
corroyage, affûtage de lames, etc. Les fabricants de flèches, en ayant déjà
amassé une bonne quantité de modèles ordinaires, étaient ce jour-là en train de
forger des têtes d’un type entièrement nouveau : elles étaient percées de
trous, afin de leur faire émettre dans leur vol, m’expliquèrent-ils, un
sifflement aigu censé jeter l’effroi dans le cœur de l’ennemi. Plusieurs
armuriers martelaient dans un bruit de tonnerre des plaques de fer chaud de
manière à les adapter à la forme du thorax des combattants et à celle du
poitrail des chevaux. D’autres procédaient presque de même avec du cuir bouilli
afin de le rendre souple à souhait : ils le mettaient en forme, puis le
laissaient sécher jusqu’à ce qu’il s’approche de la dureté du fer. Les
corroyeurs confectionnaient, pour leur part, de larges ceintures ornementées de
pierres de couleurs, non pas seulement à des fins de décoration, me dirent-ils,
mais aussi pour les protéger du tonnerre et de la foudre. Enfin, les couteliers
ciselaient de redoutables cimeterres et autres dagues, remplaçaient les tranchants
émoussés par des lames neuves et fixaient de nouveaux manches à leurs haches de
combat. L’un d’eux était en train de forger une curieuse lance dont la pointe
se prolongeait d’un crochet conçu pour « désarçonner l’ennemi en
l’arrachant de sa selle », m’expliqua-t-il.
— Un type à terre s’embroche plus facilement,
ajouta l’un de mes guides. La terre le maintient mieux que l’air, si on veut le
transpercer de nouveau.
— Quoique, dans l’absolu, nous ne recherchons pas
la facilité, poursuivit un autre. Quand un adversaire est à bas de sa selle,
nous reculons de l’endroit où il se trouve, attendant qu’il nous défie ou
implore notre pitié.
— Tout cela pour mieux plonger notre lance dans
sa bouche ouverte, précisa un troisième. C’est un sacré tour d’adresse, quand
il est exécuté au galop !
Ces remarques eurent le don de plonger mes hôtes dans
de joyeuses réminiscences, et ils se lancèrent dans une évocation épique des
différentes guerres, campagnes et batailles menées par leur peuple. Aucune
d’entre elles ne semblait s’être achevée par une défaite des Mongols. Au
contraire, toutes débouchaient sur une victoire, une conquête et le pillage
profitable qui s’ensuivait. Parmi les nombreuses histoires qu’ils relataient,
je me souviens particulièrement de deux qui m’ont marqué parce que les Mongols
n’y affrontaient pas seulement
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