Vie de Benjamin Franklin, écrite par lui-même - Tome II
doit paraître raisonnable, parce qu'elle est fondée sur le principe éternel de l'équité, qui veut que le châtiment soit proportionné à l'offense ; et la réplique du juge est brutale et insensée. Cependant, l'auteur du pamphlet—«désire que tous les juges se la rappellent quand ils vont tenir leurs assises ; parce qu'elle contient la sage raison des peines qu'ils sont appelés à faire infliger.
—Elle explique tout de suite, dit-il, les bases et les véritables motifs des punitions capitales. Elle apprend, sur-tout, que la propriété d'un homme, ainsi que sa vie, doit être regardée comme sacrée».
N'y a-t-il donc point de différence entre le prix de la propriété et celui de la vie ? Si je pense qu'il est juste que le meurtre soit puni de mort, non-seulement parce que le châtiment est égal au crime, mais pour empêcher d'autres meurtres, s'ensuit-il que je doive approuver qu'on inflige le même châtiment pour une petite atteinte portée à ma propriété ? Si je ne suis pas moi-même assez méchant, assez vindicatif, assez barbare pour donner la mort à quelqu'un qui m'a dérobé quatorze schellings trois sous, comment puis-je applaudir à la loi qui la lui donne ? Montesquieu, qui étoit un juge, a essayé de nous inculquer d'autres maximes. Il devoit connoître les sentimens qu'éprouvent des juges humains dans ces occasions, et quels sont les effets de ces sentimens. Bien loin de penser que des châtimens sévères et excessifs préviennent le crime, voici ce qu'il dit :
«L'atrocité des lois en empêche l'exécution.
»Lorsque la peine est sans mesure, on est souvent obligé de lui préférer l'impunité.
»La cause de tous les relâchemens vient de l'impunité des crimes, et non de la modération des peines.»
Ceux qui connoissent bien le monde, prétendent qu'il y a plus de vols commis et punis en Angleterre, que dans tous le reste de l'Europe. Si cela est, il doit y avoir une cause, ou plusieurs causes de la dépravation du peuple anglais. L'une de ces causes ne peut-elle pas être le défaut de justice et de morale dans le gouvernement, défaut qui se manifeste dans sa conduite oppressive envers ses sujets, et dans les guerres injustes qu'il entreprend contre ses voisins ? Voyez les longues injustices, les monopoles, les traitemens cruels qu'il fait éprouver à l'Irlande, et qui sont enfin avoués !
Voyez les pillages que ses marchands exercent dans l'Inde ! la guerre désastreuse, qu'il fait aux colonies de l'Amérique ! et sans parler de ses guerres contre la France et l'Espagne, voyez celle qu'il a faite dernièrement à la Hollande ! Toute l'Europe impartiale ne l'a considérée que comme une guerre de rapine. Les espérances d'une proie immense et facile ont été les motifs apparens et probablement réels, qui l'ont porté à attaquer cette nation. Des peuples voisins se doivent une justice non moins stricte que des citoyens d'un même pays. Un voleur de grands chemins n'est pas moins voleur, quand il dérobe avec une bande de ses camarades, que quand il est seul ; et un peuple qui fait une guerre injuste, n'est qu'une grande bande de voleurs. Si vous avez employé des gens à voler un hollandais, est-il étrange que quand la paix leur interdit ce brigandage, ces gens cherchent à voler ailleurs, et même à se voler les uns les autres ? La piraterie, comme l'appellent les Français, ou la course, est le penchant général des Anglais ; et ils s'y livrent par-tout où ils sont.
On dit que dans la dernière guerre, cette nation n'avoit pas moins de sept cents corsaires. Ces navires étoient armés par des marchands, pour piller d'autres marchands qui ne leur avoient jamais rien fait. N'est-il pas probable que plusieurs de ces armateurs de Londres, si ardens à voler les marchands d'Amsterdam, voleroient aussi volontiers ceux de la rue voisine de la leur, s'ils pouvoient le faire avec la même impunité ? Le désir du bien d'autrui [Alieni appetens.] est toujours le même : il n'y a que la crainte du gibet qui mette de la différence dans ses effets.
Comment une nation, qui, parmi les plus honnêtes de ses membres, a tant de gens inclinés à dérober, et dont le gouvernement a autorisé et encouragé jusqu'à sept cents bandes de voleurs, comment, dis-je, peut-elle avoir le front de condamner ce crime dans les individus, et d'en faire pendre vingt dans une matinée ?
Cela rappelle naturellement une anecdote de Newgate [Prison de Londres.]. L'un des
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