1942-Le jour se lève
ses bureaux de la France Libre, à Carlton Gardens, d’abandonner
cette fourmilière traversée de rivalités.
Ainsi il manifestera aux yeux de tous que le pouvoir lui
importe peu et qu’il ne l’exerce, fermement, que par devoir ! Mais
pense-t-il renoncer ? Les phrases qu’il a prononcées reviennent en lui :
« Penché sur le gouffre où la patrie a roulé, je suis
son fils qui l’appelle, lui tient la lumière, lui montre le salut. »
Il restera à son poste. Il écrit à Muselier :
« Amiral,
« […] Votre présence à Londres actuellement donne lieu
dans le personnel à confusions et fausses interprétations dont la discipline
risque de souffrir.
« Je dois en conséquence vous inviter à quitter Londres
sans délai jusqu’à décision à intervenir.
« Veuillez croire, Amiral, à mes sentiments distingués. »
C’est ainsi.
Dans la grande tragédie qu’est cette guerre mondiale où les
actes héroïques, les souffrances, l’abnégation sont immenses, où chaque jour
des dizaines de milliers d’hommes, de l’Asie à la Libye, des neiges de Russie
aux rues du ghetto de Vilna, sacrifient leur vie, il y a aussi le grouillement
des intrigues, les sordides ambitions, et les implacables rivalités entre
nations.
« Nous sommes en plein Munich, dit de Gaulle, la
politique de Washington tend à nous arracher Saint-Pierre-et-Miquelon, comme
jadis on arrachait les Sudètes aux Tchèques ! »
Il n’exagère pas.
Angleterre et États-Unis sont à la fois les grands alliés
indispensables et les rivaux cyniques qui ne veulent pas que de Gaulle incarne
le renouveau français, l’indépendance nationale recouvrée.
« Nos alliés, poursuit de Gaulle, cherchent à contester
ce rassemblement de la France autour de nous. »
Au moment même où la police du gouvernement de Vichy arrête
à Lyon, à Clermont-Ferrand, des animateurs du mouvement Combat , dont
Chevance-Bertin, et Bertie Albrecht, la compagne d’Henri Frenay.
Elle les relâchera, mais la précarité, la fragilité des
succès obtenus par Moulin sont évidentes.
Et de Gaulle a le sentiment que sur tous les fronts il en
est de même.
On a cru un peu vite, en ce mois de janvier 1942 que l’Allemagne
était à la veille d’être battue.
Or, dès la mi-janvier, la Wehrmacht ne recule plus en Russie.
La contre-offensive russe, victorieuse, s’arrête après avoir repoussé les
Allemands à 200 kilomètres de Moscou.
Succès majeur, mais les armées nazies ne sont pas brisées. Au
sud du front, dans le Donbass, les Allemands attaquent. À l’extrême nord, ils n’ont
pas fait plier Leningrad, mais la ville est toujours assiégée.
De Gaulle, le 20 janvier 1942, à la radio de Londres, peut
bien saluer les succès de la Russie, célébrer avec « enthousiasme l’ascension
du peuple russe », il sait que la victoire n’est encore qu’une perspective
à peine esquissée.
Il faut cependant l’exalter, dire :
« La mort de chaque soldat allemand tué ou gelé en
Russie, la destruction de chaque canon, de chaque avion, de chaque tank
allemand, au grand large de Leningrad, de Moscou, de Sébastopol, donnent à la
France une chance de plus de se redresser et de vaincre. »
Et de Gaulle commence à jouer de la force affirmée de la
Russie pour conforter la position de la France Libre, face à Washington et à
Londres.
« L’alliance franco-russe, dit-il, est une nécessité
que l’on voit apparaître à chaque tournant de l’Histoire. »
Et il en sera ainsi dans l’Europe libérée, car « la
Russie sera au premier rang des vainqueurs de demain ».
Mais ce n’est encore qu’une vision.
Pour l’heure les Allemands sont encore à Smolensk, et
menacent de s’emparer de Sébastopol !
Il a d’ailleurs suffi de trois semaines en janvier 1942, pour
que la réalité de la puissance allemande s’impose à nouveau.
Rommel, et son Afrikakorps, se préparent à l’offensive. Les
sous-marins allemands détruisent chaque jour plus de bateaux que n’en peuvent
construire les chantiers navals américains et britanniques.
Aux antipodes, la poussée japonaise s’amplifie, après Hong
Kong, Manille, les îles de Guam et de Wake, la presqu’île de Malacca et
Singapour sont conquises ou menacées.
Certes à l’horizon, la victoire des Alliés semble inéluctable,
et le général américain MacArthur a raison de répéter « je reviendrai ».
L’US Air Force prépare un
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