1942-Le jour se lève
révolte.
L’attitude
des écrivains – Céline, Brasillach, Rebatet, Drieu la Rochelle – l’indigne.
Il apprend qu’au cours d’une réception à l’ambassade d’Allemagne
à Paris, Céline a interpellé l’écrivain allemand Ernst Jünger, qui a repris l’uniforme,
lui l’ancien et héroïque combattant de la Première Guerre mondiale.
« Céline, a raconté Jünger, me dit combien il est surpris,
stupéfait, que nous, soldats, nous ne fusillions pas, ne pendions pas, n’exterminions
pas les Juifs. Il est stupéfait que quelqu’un disposant d’une baïonnette n’en
fasse pas un usage illimité. »
Céline peut passer pour un « extravagant », un
délirant, un provocateur.
Mais que dire du comportement du propriétaire d’une illustre
et respectée maison d’édition ?
Il a fait une offre pour acquérir la maison d’édition
Calmann-Lévy, qui appartenait à des Juifs [1] .
Dans une lettre recommandée adressée à l’administrateur
provisoire de Calmann-Lévy, avec une copie au Commissariat général aux
questions juives, l’éditeur écrit :
« Nous avons l’honneur de vous confirmer notre offre d’acquérir
le fonds de commerce d’édition et de librairie connu sous le nom de Calmann-Lévy…
Cette offre est faite moyennant le prix de deux millions cinq cent mille francs
payables comptant. »
Il est dès à présent convenu que le nouvel éditeur n’absorbera
pas la firme Calmann-Lévy « qui conservera son autonomie et qui aura un
comité littéraire qui lui sera personnel, dont sans doute MM. Drieu la
Rochelle et Paul Morand accepteront de faire partie ».
« Nous vous indiquons dès à présent que le nouvel
éditeur est une maison aryenne à capitaux aryens. »
De Gaulle est révolté.
Cette capitulation de l’esprit, ce ralliement aux thèses les
plus sinistres de l’ennemi, cet esprit de lucre qui efface toute valeur morale
sont les causes majeures du succès nazi.
Comment s’étonner qu’un Goebbels puisse à Hambourg, en dépit
des revers des armées allemandes, s’écrier le 16 janvier 1942 :
« Nous avons à peine besoin de faire appel à la foi
dans notre destin pour prédire notre prochaine victoire comme certaine et
irrévocable. »
« Maison aryenne à capitaux aryens », écrivait l’illustre
éditeur, dans sa lettre recommandée datée du mardi 20 janvier 1942.
4 .
En ce mois de janvier 1942, on peut imaginer que monsieur l’éditeur,
après avoir relu la lettre recommandée dans laquelle il se porte acquéreur d’un
bien juif dont le propriétaire a été dépossédé, s’apprête à partir déjeuner, en
toute bonne conscience. Il respecte la loi et conserve dans le patrimoine
français – aryen – ce bien culturel qu’est une maison d’édition aussi
ancienne et prestigieuse que Calmann-Lévy. Et s’il n’avait pas fait cette offre,
peut-être les Allemands l’auraient-ils achetée.
Monsieur l’éditeur va peut-être déjeuner avec l’un de ces
écrivains dont il apprécie tant la compagnie, et il sait bien que certains d’entre
eux s’affichent courageusement antinazis. D’autres sont furieusement antisémites
et collaborationnistes.
Mais le propre d’une maison d’édition vouée à la littérature
n’est-il pas de garder en son sein Aragon et Paulhan aux côtés de Drieu la
Rochelle et Paul Morand ?
Il
est midi, sur les rives du lac Wannsee, une paisible banlieue de Berlin, ce
même mardi 20 janvier 1942.
L’Obergruppenführer SS Reinhard Heydrich, chef de l’Office central
pour la Sécurité du Reich au sein de la SS (RSHA) – par ailleurs
protecteur de la Bohême-Moravie –, déclare ouverte la Conférence sur la
solution finale de la question juive.
Les quatorze participants, secrétaires d’État, officiers de
la SS, et notamment l’Obersturmführer SS Eichmann qui doit rédiger le Protocole
rendant compte des travaux et des décisions de la conférence, sont assis autour
d’une grande table, dans une vaste pièce dont les baies vitrées donnent sur le
lac.
La « villa » choisie pour siège de la conférence
est l’hôtel de police de la Sécurité du Reich, elle est située au 56-58 Strasse
Am Grossen Wannsee.
Les voitures officielles sont alignées le long de la rive du
lac. Des SS entourent la demeure et interdisent d’approcher. Ce mardi 20 janvier
1942, cette banlieue berlinoise hiberne sous un ciel gris et bas de l’hiver.
Le lieu a
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