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Adieu Cayenne

Adieu Cayenne

Titel: Adieu Cayenne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Londres
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consciencieusement son métier. On dira de lui difficilement
que son habitude est d’agir au petit bonheur. Il étudia le cas
Dieudonné. Son avis fut différent de celui du jugement rendu. Il
gracia Dieudonné. M. Poincaré ne gracia pas Dieudonné parce qu’il
lui accordait des circonstances atténuantes, il le gracia parce
qu’il ne trouvait pas dans le procès la preuve de sa culpabilité.
Mais que veut dire, en l’état de nos lois, ce mot de grâce ?
Il veut dire que l’homme ainsi gracié ira au bagne jusqu’à la fin
de ses jours. Il y alla…
    * * *
    Onze ans plus tard, j’y allai, à mon tour.
C’est ainsi que, me promenant un matin dans les locaux
disciplinaires de Saint-Joseph, aux îles du Salut, je fus arrêté
par un nom écrit sur la porte d’une des cellules. Ce nom était
« Dieudonné ».
    – Celui de la bande à Bonnot ?
    On me répondit : « Oui ».
    Le gardien fit jouer le judas. Une tête
s’encadra dans l’ouverture. C’était celle de Camille-Eugène-Marie
Dieudonné.
    – Je viens voir ce qui se passe par ici, lui
dis-je ; désirez-vous me parler ?
    – Oui, oui, je voudrais vous dire des choses.
Oh ! je n’ai pas à me plaindre, mais des choses en général sur
la vie cruelle du bagne.
    Sa voix était haletante, comme s’il venait de
faire une longue course ; cependant, sa cellule n’avait que un
mètre cinquante de large sur deux mètres de long. Il y était
enfermé depuis huit mois.
    Cette tête dans ce judas ajoutait encore au
cauchemar de l’endroit. Je demandai que l’on ouvrît la porte.
    On le fit.
    Dieudonné se redressa. Il avait de grands yeux
avec de la fièvre au fond, pas beaucoup de chair sur la
figure ; aussi ses pommettes pointaient-elles. Il se tenait au
garde-à-vous, mais sans force physique.
    – La vie au bagne, dit-il, est épouvantable.
Ce sont les règlements qui nous accablent. Ils trahissent
certainement dans leur application l’idée des hommes qui les ont
faits. C’est comme un objet qui tombe de haut et qui arrive à
terre, son poids multiplié. Aucun ne peut se relever ; nous
sommes tous écrasés.
    Un rayon de lumière glissait dans ce tombeau.
Au point où ce rayon touchait la dalle, il y avait quelques
livres.
    – Pourquoi êtes-vous en cellule ?
    – J’y suis régulièrement. Je paye ma dernière
évasion. J’aurais même dû avoir cinq ans de cachot, puisque c’était
ma « seconde ». Le tribunal maritime ne m’en a infligé
que deux.
    – Parce que vous êtes bon sujet, dit le
garde.
    – Oui, fit-il d’une voix toute simple, je dois
dire que l’on me châtie sans méchanceté.
    Le commandant des îles nous rejoignit.
    – Ah ! vous avez trouvé Dieudonné ?
Bonjour, Dieudonné !
    – Bonjour, commandant !
    – Tenez – et il posa sa main sur l’épaule du
forçat – voilà un garçon intéressant.
    – Alors, pourquoi le mettez-vous là
dedans ?
    – C’est un ouvrier modèle. Dieudonné est un
exemple. Il a su se préserver de toutes les tares du bagne. Quand
il a fini de travailler avec ses mains, il étudie dans les
livres : la mécanique, la philosophie. Que lisez-vous
maintenant ?
    Dieudonné ramassa des
Mercure de
France
et les présenta.
    – Vous voyez assez clair ?
    – Merci, commandant.
    – Je ne devrais pas vous demander cela. Votre
cachot n’est pas réglementaire. Dites-moi au moins que vous n’y
voyez rien, pour le repos de ma conscience !
    Ils sourirent.
    Un sourire est une fleur rare aux îles du
Salut !
    – Il s’est évadé de Royale, reprit le
commandant, c’est là l’un des plus beaux exploits du bagne.
Quatre-vingt-quinze chances de laisser ses membres aux requins.
Comment vous a-t-on repris sur la grande terre ?
    – Épuisé, commandant.
    – Il a même repêché un gardien, une
fois ! N’est-ce pas ?
    Dieudonné esquissa un geste du bras.
    – Voyons, dis-je au commandant, le cas
Dieudonné est troublant. Beaucoup de gens croient à son
innocence.
    – Du fond de ma conscience, je suis innocent,
fit Dieudonné.
    Là-dessus, l’on referma l’enterré vivant dans
son tombeau.
    * * *
    Ces dernières années, les hommes heureux
voulurent bien reporter leur pensée vers la terre d’expiation. Le
bagne nourrit un temps les conversations et les chroniques. Des
avocats, des journalistes réveillèrent l’affaire Dieudonné. Des
consciences furent alertées. Quelques hommes consentirent à se
rappeler que Dieudonné n’avait été condamné que sur un

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