Adieu Cayenne
Chapitre 1 AU DÉBUT DE L’ANNÉE QUI VA FINIR…
Au début de l’année qui va finir, tout homme
qui achète un journal put lire une dépêche provenant de Cayenne.
Elle annonçait que le forçat Dieudonné, « ancien membre de la
bande à Bonnot », avait trouvé la mort en voulant
s’évader.
Dieudonné ?
Camille-Eugène-Marie Dieudonné. Il a vingt-six
ans, quand éclate l’affaire Bonnot. De son métier, il est ouvrier
ébéniste ; d’idées, anarchiste, illégaliste, ainsi que l’on
disait à l’époque.
Il a nourri son jeune âge de la littérature
des citoyens Alexandre Millerand, Urbain Gohier, Aristide Briand,
Gustave Hervé. Il n’ignore pas Gustave Le Bon. Il réciterait sans
défaillance les livres de l’éminent M. Félix Le Dantec, professeur
à la Sorbonne. Stirner, Nietzsche sont ses maîtres.
C’est assez dire qu’il ne fait pas partie de
ces ouvriers de marchands de vins et du Vélodrome d’hiver. Il est
un intellectuel !
La journée finie, il court les réunions que
lui recommandent les professeurs plus haut cités. L’innocent !
Il ferait mieux d’aller sur le zinc ! Là, il rencontre tous
les ennemis de la société. Il en connaît même qui
s’appellent : Garnier, Bonnot, Callemin, dit
Raymond-la-Science.
Justement, à cette date, Garnier, Bonnot,
Callemin montent dans des automobiles. Ils ont un revolver au poing
et ils tirent sur des employés de banque, ils
« descendent » des agents de police, ils assassinent des
chefs adjoints de la Sûreté. Ils en font bien d’autres !
Mauvaises fréquentations pour un
ébéniste !
Il eût fallu se saisir des garçons qui,
croyant faire les apôtres, ne faisaient que les bandits. La police
n’y parvenait pas. Elle se rabattit sur le voisin, non le voisin
d’habitation, mais le voisin de doctrine. Ainsi fut arrêté
Dieudonné.
C’est là que le drame commence.
La bande à Bonnot avait débuté dans le
commerce du crime par l’attaque d’un nommé Caby, garçon de
recettes, alors qu’il passait rue Ordener.
Caby ne mourut pas.
Il désigna Garnier comme son agresseur :
« C’est bien lui, s’écria-t-il, je le reconnaîtrais entre
cent. »
Mais Garnier fut tué peu après, lors du siège
qu’il soutint dans une maison de banlieue.
La police, alors, présenta plusieurs
photographies à Caby. Caby les examina.
– Je m’étais trompé la première fois, en
accusant Garnier, dit-il. Mon assassin, le voilà !
Et il posa le doigt sur le portrait d’un
inspecteur, portrait glissé parmi des têtes d’anarchistes.
La bande à Bonnot, la vraie, continuait
l’assaut contre la société. L’opinion, affolée, réclamait des
coupables.
Dieudonné était en prison. Pourquoi ne
l’essaierait-on pas comme l’agresseur de Caby ?
Une après-midi, Dieudonné, non rasé, sans col,
hagard, traverse, entre deux policiers, les couloirs du Palais de
Justice. On le conduit chez le juge d’instruction.
Caby est aussi dans ces couloirs. Au passage
de Dieudonné, un agent de la Sûreté touche le bras de Caby.
« Tenez, lui dit-il, regardez, voilà votre
agresseur ! »
L’homme qui cherche son assassin en reste
saisi.
Cinq minutes après, confrontation chez le
juge.
– Connaissez-vous cet individu,
Caby ?
Il le connaît, il vient de le voir. On lui a
dit : « C’est celui-là ».
– Oui ! fait Caby. C’est lui.
– Regardez-moi, monsieur, vous vous
trompez ! renvoie Dieudonné.
Caby ne consent plus à se tromper ; deux
fois suffisent. Il dit : « C’est lui ! »
– Ta-ra-ta-ta ! répondent les gens qui
savent des choses ; si Caby a reconnu Dieudonné, ce n’est pas
parce qu’on le lui montra dans le couloir, mais parce que Dieudonné
était rue Ordener. Il n’est pas l’assassin. Il y était par
humanité, pour empêcher les autres de tirer !
C’est là du roman russe.
Au fait !
C’est Garnier qui attaqua Caby.
Garnier le proclama avant de mourir.
Ayant de mourir, également, Bonnot
écrivit : « Dieudonné est innocent ; il n’était pas
rue Ordener ».
Callemin, une fois condamné à mort,
s’écria : « Dieudonné est innocent. Il n’était pas rue
Ordener. Je le sais, moi, j’y étais ».
Le témoignage d’un homme au moins deux fois
abusé l’emporta sur la vérité.
Dieudonné fut condamné à la guillotine.
À cette époque, le président de la République
se nommait Raymond Poincaré. M. Poincaré est connu comme un homme
faisant
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