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Adieu Cayenne

Adieu Cayenne

Titel: Adieu Cayenne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Londres
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qu’il est coupable, pourrait
peut-être s’organiser une demi-existence. Ce n’était pas mon cas.
Je n’avais rien fait pour aller en Guyane. Vivre de la tolérance
des uns et de la pitié des autres, dites-moi donc l’homme de cœur
qui s’en accommoderait ? J’ai préféré la liberté à l’assiette
de soupe, les savanes du Brésil à ma niche de Cayenne. Je suis
descendu de ma soupente. Tenez, je me rappelle fort bien tout ce
qui se passa ce jour-là.

DEVANT LE LARGE
     
    Il était trois heures de l’après-midi. Le
soleil s’abattait sur les pauvres hommes de là-bas, comme la massue
sur la tête du bœuf. J’allai me planter devant le port. Il était
vaseux, comme toujours. Des forçats déchargeaient un chaland. Des
douaniers se traînaient aussi lentement que des chenilles. D’autres
transportés, torse nu, tatoués, cherchaient quelque besogne qui
leur permettrait d’ajouter un hareng à la pitance administrative.
Une machine à découper le bois de rose faisait un bruit
étourdissant, j’entendais Bibi la Grillade crier à un
surveillant :
    « Oui, j’ai volé votre poule, mais, comme
vous nous voliez sur nos rations le riz dont vous l’engraissiez, je
considère la poule comme la mienne. » Je le vis partir avec
son ami Biribi, chez Quimaraès, bar cosmopolite. Je les regardais
de la rue. Ils pinçaient la bonne noire qui les giflait en riant,
des Guyanais allaient, portant le couac et le tafia pour le repas
du soir. Des surveillants militaires promenaient un revolver sur
leur panse.
    Je regardais la mer.
    À ce moment, le commandant Michel…
    – Le gouverneur des îles ?
    – Il a quitté la Pénitentiaire. Il était
écœuré. Il est civil maintenant… passa près de moi.
    – Eh bien ! Dieudonné, vous regardez la
mer ?
    – Oui, commandant.
    – Ne faites pas de bêtises, ça vaudra mieux
pour vous.
    Il continua son chemin…
    Je regardais toujours la mer, et, derrière le
phare de l’Enfant-Perdu, je voyais déjà s’élever la
« Belle ».

Chapitre 4 CHEZ LE CHINOIS
     
    – Comme c’est curieux, fit Dieudonné de
revivre tout ça, maintenant !
    Nous étions toujours dans ma chambre, à Rio de
Janeiro. Porte et fenêtre étaient ouvertes pour établir le courant
d’air.
    – Vous permettez que je ferme, dit-il. Nous
aurons chaud, mais je pourrai parler plus à mon aise.
    Il revint s’asseoir en face de moi…
    – Le lendemain à la nuit, si vous aviez été
toujours à Cayenne, vous auriez pu voir un forçat se diriger du
côté du canal Laussat… C’était moi.
    Cet endroit n’a pas changé. Il est encore le
repaire de la capitale du crime. Je n’y allais jamais.
    Peut-être la police aurait-elle compris si
elle m’avait vu là.
    Je regardai. Personne ne me suivait. Je
traversai le pont en bois pourri. J’étais dans l’antre.
    Je me rendais chez un Chinois. On me l’avait
signalé comme un bon intermédiaire. Sa cahute était un bouge. On y
jouait, on y fumait, on y aimait. Moi je venais pour m’évader.
    Je pousse la porte. Aussitôt, un chien jappe,
les quinquets à huile s’éteignent, des ombres disparaissent. Une
jeune Chinoise, ma foi assez jolie, s’avance vers moi. Je dis le
mot de passe. La fille appelle le patron. Les quinquets se
rallument, les ombres reviennent, le jeu reprend. Et une espèce de
drôle de petit magot apparaît : c’était mon homme.
    – Je viens pour la « Belle », lui
dis-je.
    Il m’entraîne dans une chambre qui servait à
tout. Il y avait un fourneau, une volière, un étau, un lit pour
l’amour. La Chinoise nous avait suivis. Il ferme la porte
soigneusement. Étonné, je regarde la femme, me demandant ce qu’elle
vient faire entre nous deux. Le Chinois comprend, sourit et pose un
doigt sur ses lèvres pour me faire savoir que la fille est
discrète. Elle sort et rapporte le thé. Est-il au datura ?
    – Qu’est-ce que le datura ?
    – Vous savez bien, la plante dont on se sert
en Guyane pour les vengeances, le mauvais café, quoi ! Alors,
je retourne mes poches et je dis tout de suite :
« Inutile, je n’ai pas d’argent sur moi. » Le magot
sourit, la jolie petite guenon aussi, et, tous les deux, ils me
disent : « Datura, pas pour toi ».
    Le thé est bon. Au reflet du quinquet, la
Chinoise apparaît coquine. Elle me lance des regards de femelle. Il
s’agit bien de cela !
    – Combien, patron, pour aller jusqu’à
l’Oyapok ?
    – Trois mille, plus deux cents pour les
vivres, plus cent

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