Belle Catherine
Catherine la légende de cette église, vieille déjà de deux cents ans : comment la mule du riche marchand juif Zacharie Guillard s'était agenouillée, un jour d'hiver tout pareil à celui- là, devant le Saint-Sacrement que portait saint Antoine de Padoue. Et ni les coups ni la colère du vieux Juif n'avaient pu faire relever la mule tant que le saint moine n'eut pas passé son chemin. Sur le lieu du miracle, on avait édifié l'église avec l'or que Zacharie, repentant et converti, avait généreusement donné.
De son enfance à l'ombre des tours de Notre-Dame, Catherine avait gardé le goût des légendes et des histoires extraordinaires. Son père, Gaucher Legoix, lui en contait si souvent tandis qu'il ciselait les belles couvertures d'or ou d'argent destinées aux évangéliaires, pour le seul plaisir de voir une lumière dorée s'allumer dans les yeux émerveillés de la petite.
Ce soir, en franchissant le seuil humide de Saint- Pierre-le-Guillard, c'était à son père que Catherine pensait, avec une poignante mélancolie. Le doux Gaucher à qui le sang faisait horreur était mort pendu parce que Catherine avait caché dans la cave le frère aîné de cet Arnaud qui, dans un instant, serait son époux. Jamais l'orfèvre du Pont-au-Change n'avait imaginé pour sa petite fille le destin, brillant et tumultueux, qui était le sien. Et Catherine pensait que, sans doute, les choses étaient bien ainsi, car elle n'était pas très sûre que Gaucher Legoix s'en fût réjoui.
L'église était sombre, hormis une faible lumière venue d'une chapelle absidiale. Jacques Cœur et Macée, qui avaient ouvert la marche, se dirigèrent sans hésiter vers cette lueur. Catherine eut un frisson. Sous les voûtes romanes, le froid tombait d'aplomb sur les épaules comme un drap mouillé. Il lui rappela une autre chapelle, un autre jour d'hiver, neuf ans plus tôt. Ce jour-là, elle portait des bijoux de reine, des atours fastueux, mais son cœur était glacé de crainte et de désespoir. Ce jour-là aussi, il avait neigé sur les molles ondulations de la plaine de Saône qui s'étendait à perte de vue.
Ce jour-là, par ordre ducal, elle épousait, l'âme aux abois et l'esprit plein d'une autre image, Garin de Brazey, le Grand Argentier de Bourgogne. Combien aujourd'hui était différent !...
Il n'y avait ni robe de fée, ni toilettes précieuses, ni noble assistance, ni chapelle illuminée. Elle portait une simple robe de laine verte lacée de velours noir où sa taille épaissie se mouvait à l'aise, un ample manteau de drap noir à capuchon, doublé de menu vair, présent de Macée pour ces noces de froidure. Mais, autour d'elle, il n'y avait que des cœurs amis et surtout, surtout, elle épousait l'homme qu'entre tous elle avait choisi, aimé, adoré contre vents et marées, attaché à elle au prix d'efforts surhumains et d'un complet renoncement d'elle-même. C'était son bras qui la soutenait tandis que son pas hésitait sur les dalles inégales de l'église, c'était son profil précis et fier qui se détachait de l'ombre d'un chaperon noir avec, ce soir, une profonde expression de gravité méditative, c'était sa main qui, nouée à la sienne, allait la garder serrée une vie entière... C'était son enfant, enfin, qui tressaillait en elle comme les premiers sursauts d'un avenir à son aurore.
Dans la chapelle, un prêtre en chasuble blanche priait, agenouillé, sa tête tonsurée brillant faiblement dans la lumière des deux cierges allumés de chaque côté de l'autel. Auprès de lui, un enfant de chœur se dandinait sur ses genoux, tripotant l'encensoir posé devant lui. L'émotion de Catherine s'accrut en reconnaissant le nez trop grand et le bon visage aux traits solides de frère Jean Pasquerel qui avait été l'aumônier de Jehanne d'Arc et que sa fidélité au souvenir de celle qu'il avait connue mieux que personne contraignait à se cacher pour fuir la persécution de La Trémoille. La haine du gros chambellan contre la Pucelle était telle que vénérer sa mémoire suffisait pour devenir la cible de ses coups.
Entendant approcher, frère Jean se releva, sourit et tendit les deux mains au jeune couple.
— Béni soit Dieu qui nous réunit ici, mes amis, et me permet d'être l'instrument de Sa Volonté pour bâtir votre bonheur. Les temps difficiles où nous vivons nous obligent à demeurer cachés, mais je suis certain que cela ne durera pas et que le temps de la lumière reviendra.
— S'il dépend
Weitere Kostenlose Bücher