Belle Catherine
peux baiser sa main... Ma chère, Saturnin est le bailli de Montsalvy et notre plus fidèle serviteur. Il a l'air, comme cela, d'un paysan, mais il a pignon sur rue. Il nous a élevés, Michel et moi... presque autant que notre mère...
De nouveau la voix d'Arnaud se brisa en évoquant sa mère, mais, déjà, Saturnin, qui venait de baiser la main de Catherine, se retournait vers lui en s'écriant :
— Vieille bête que je suis à vous t'nir là au lieu d'vous emmener bien vite la trouver ! Elle va être si heureuse notre pauvre maîtresse !
— Ma mère ? Tu sais où elle est ? Elle n'est pas...
Le vieux se mit à rire de bon cœur.
— Morte ? Vous voudriez pas ! Si j'n'avais pas réussi à lui faire quitter le château quand ces sauvages ont mis l'feu, vous n'auriez jamais revu le vieux Saturnin. J'aurais jamais pu vous regarder en face.
Et, comme Arnaud, de nouveau, le prenait aux épaules en criant :
— Vivante ! Elle est vivante ! Et où est-elle ? Au monastère ?
Saturnin cracha par terre et haussa les épaules.
— Au monastère, il y a Valette et ses hommes... ceux qui ont brûlé vot'maison. Mme la comtesse, où voulez-vous qu'elle soit ? Chez moi, bien sûr ! Mais à la métairie parce qu'en ville les hommes de Valette tiennent les meilleures maisons. Venez, maintenant, on s'est trop attardés. Même la nuit, voyez-vous, les chemins sont dangereux...
Tout en parlant, Saturnin avait pris la bride de Morgane et faisait tourner la petite jument. Avant de remettre son bonnet, il s'inclina devant Catherine avec une inconsciente dignité.
Notre dame, fit-il avec un grand respect, ça va être un honneur pour le vieux Saturnin de vous conduire à sa maison bien qu'elle ne soit pas digne du tout de vous recevoir. Mais vous y serez chez vous et aussi maîtresse que si les murs de Montsalvy étaient encore debout !
Elle le remercia d'un sourire. Un monde de sentiments contradictoires agitait la jeune femme. Ce paysan si fier et si simple qu'Arnaud traitait en ami lui ouvrait de nouveaux horizons sur le caractère de son mari. Elle entrevoyait vaguement l'enfant qu'il avait pu être et aussi le côté intensément humain qui se cachait sous son orgueil. Elle était heureuse à l'idée qu'elle et les siens auraient bientôt l'abri d'un toit, mais, sous ce toit, il y avait tout de même cette femme qu'elle redoutait tellement : la mère d'Arnaud ! À mesure que leur rencontre se faisait plus proche, Catherine sentait l'angoisse l'étreindre. La grande dame que devait être Isabelle de Montsalvy saurait- elle accueillir une belle-fille sortie du peuple ou bien les jeunes époux allaient-ils au-devant de reproches et d'une scène amère ? La jeune femme avait honte de s'avouer que, tout à l'heure, devant les décombres de la maison seigneuriale, elle avait eu, l'espace d'un instant, la pensée coupable que ce désastre lui évitait une épreuve. Malgré ses craintes, elle se reprochait cette pensée comme un crime. Elle était trop courageuse, elle avait trop l'habitude de l'adversité pour ne pas savoir regarder les choses en face.
« L'épreuve va venir, ma fille, se dit-elle tandis que Morgane retraçait ses pas vers le puy de l'Arbre, et c'est justice.
Une punition bien méritée pour ce que tu as osé penser ! »
Mais, malgré cette mercuriale intérieure, les alarmes de Catherine grandissaient chaque fois que Morgane posait un sabot à terre.
La métairie de Saturnin abritait son grand toit de lauzes sous un boqueteau de sapins, au flanc du puy. L'étroit chemin à peine tracé qui la desservait aboutissait un peu plus bas que les ruines, mais un escarpement rocheux la dissimulait aux regards de qui ne descendait pas assez bas vers la vallée. En l'approchant, Catherine la devina plus qu'elle ne la vit vraiment : une boursouflure plus sombre contre le fond noir du roc. Dans la façade s'ouvraient, comme des yeux rouges et ternes, deux étroites fenêtres que la jeune femme regarda avec méfiance. La maison, tapie dans l'ombre, avait l'air de la guetter...
Le pas sonore des chevaux fit apparaître la silhouette courte et noire d'une paysanne en bonnet blanc élevant une torche au-dessus de sa tête.
— Qui va là ? demanda la femme rudement.
— C'est moi, Donatienne, fit Saturnin.
— Mais, tu n'es pas seul...
La paysanne avait fait quelques pas et, brusquement, elle s'arrêta. La torche trembla dans sa main et, lentement, elle se laissa tomber à genoux, le regard illuminé de joie.
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