Belle Catherine
du dehors. La stupeur qui l'avait saisie devant l'étrange tournure que prenait sa démarche fit place à une terreur folle. Elle comprit que Poitou n'avait rien exagéré et qu'à cette heure le maître de Champtocé n'avait plus rien d'humain.
Elle voulut, elle aussi, courir vers la porte et vers le jour, mais, de nouveau, la terrible main s'abattit sur elle.
— Pas toi, grogna-t-il. Toi, tu restes !
Il jeta le fouet et, sans plus d'explications, la prit dans ses bras. Du coup, le souffle coupé, Catherine crut étouffer. Elle était écrasée contre une poitrine dure et velue. Elle eut la sensation d'être prise entre les pattes d'un de ces ours qu'elle avait vus, à Hesdin, dans la ménagerie de Philippe de Bourgogne. Celui-là sentait la sueur et le vin. Écœurée, Catherine se débattit, frappant de ses poings, le repoussant de toutes ses forces. Ce n'était pas facile. L'ivresse qui le tenait décuplait ses forces qui, en temps normal, étaient respectables. La jeune femme sentit la chaleur humide de sa bouche sur son cou et perdit l'équilibre. Il la soulevait de terre pour la jeter sur le lit. Il geignait contre elle, prononçant des paroles qu'elle ne pouvait comprendre. Il était au-delà de tout entendement. Pour lui échapper, il fallait ruser...
Cessant brusquement de lutter, elle se laissa porter sur le lit, mais, à peine son dos eut-il touché le matelas que, profitant du déséquilibre momentané que le geste de la poser avait occasionné à Gilles, elle roula sur elle-même et glissa dans la ruelle avec la rapidité d'un éclair. Aussitôt, le lit cria sous le poids de Gilles qui, pensant se jeter sur Catherine, s'abattit de toute sa hauteur. Il ne rencontra que le vide et poussa un hurlement de rage. Mais déjà la jeune femme avait couru à une fenêtre, tiré les rideaux, claqué le volet. Un flot de soleil inonda la chambre et aveugla un instant l'homme encore étendu sur le lit.
Il bondit sur ses pieds et Catherine, terrifiée, le vit tirer une dague. Son visage convulsé de fureur était celui d'un fou.
Elle avait cru que le jour le dégriserait, qu'en chassant l'obscurité elle chasserait aussi les démons, mais elle comprit qu'elle avait fait un mauvais calcul, qu'elle avait seulement déchaîné les pires instincts de Gilles. Les dents grinçantes, les yeux flambants, il marcha vers elle. Affolée, car elle pouvait lire sa mort dans le regard de cet homme, elle chercha désespérément une arme, quelque chose pour se défendre... Sur un coffre, elle aperçut une cuvette pleine d'eau sale posée auprès d'une aiguière. C'était sa seule chance...
Glissant vivement derrière un haut fauteuil, elle saisit la cuvette et, de toutes ses forces, la jeta à la tête de Gilles. La cuvette d'argent était lourde. Elle résonna en roulant à terre tandis que l'homme, suffoqué par cette douche imprévue, se laissait tomber sur le sol, à demi aveuglé. Catherine, alors, ne perdit pas son temps à attendre ses réactions. Elle courut à la porte, tira le verrou et se jeta au-dehors. Dans la galerie, elle se trouva nez à nez avec Poitou.
— Tu avais raison. Il est fou ! souffla-t-elle encore à demi étranglée par la peur qu'elle avait eue.
— Fou non ! Mais bizarre ! Rentrez chez vous, dame Catherine, je vais le calmer. Je sais ce qu'il faut faire. Mais, par Notre Dame, vous avez de la chance. Je n'aurais pas cru que vous en sortiriez vivante !
Ce fut au tour de Catherine de frôler la folie dans les mornes heures qui suivirent. Les mâchoires du piège refermées sur elle lui semblaient monstrueusement terrifiantes : Que pouvaient son courage et sa logique saine contre un être de la sorte de Gilles ? Elle se heurtait au pire obstacle jamais rencontré, l'anomalie mentale, et elle s'effrayait de cet inconnu sinistre qu'elle venait de découvrir en Gilles.
Aussi quand, vers le milieu du jour, Anne de Craon franchit le seuil de sa chambre, fut-elle presque soulagée. Tous les habitants de ce château maudit lui paraissaient tellement inquiétants, vus à travers le prisme de sa peur, que la vieille dame lui sembla extraordinairement normale et sympathique. Pourtant, elle était, elle aussi, très inquiète.
— Pourquoi avez-vous fait cela ? Pourquoi êtes- vous allée chez Gilles, malheureuse enfant ? Ignoriez- vous donc que nul, pas même son grand-père, n'a le droit de franchir, quand il s'y est retiré, le seuil de ses appartements ?
— Comment l'aurais-je su ? s'insurgea
Weitere Kostenlose Bücher