Belle Catherine
oreilles susceptibles du maître.
— Et dame Anne ? demanda Catherine, comment va-t-elle ?
— Je ne sais. Elle aussi est enfermée chez elle et seule dame Aliénor, sa dame de parage, est autorisée à pénétrer dans sa chambre. Excusez-moi, gracieuse Dame, je ne dois pas m'attarder...
La petite servante avait hâte de s'esquiver et Catherine n'osa pas lui poser d'autres questions. Le sort de Sara la tourmentait et elle se désespérait de n'en rien savoir. Mais comment faire quand sa porte était barricadée et que, parfois, le pas ferré d'un soldat lui faisait comprendre qu'elle était gardée ?
Au soir du quatrième jour, cependant, les verrous jouèrent pour quelqu'un d'autre que la camériste. La porte s'ouvrit livrant passage à Gilles de Sillé, le cousin du sire de Rais et son âme damnée. Il avait le même âge que Gilles mais aucunement son allure.
Courtaud, trapu, les épaules massives et le ventre plat, sa figure rouge brique s'ornait d'un nez camard et d'une paire d'yeux bleu pâle, étonnamment froids et dépourvus d'expression. Des chausses violettes, un pourpoint sang-de-bœuf brodé d'un lion d'or l'habillaient sans élégance, mais une dague de taille impressionnante était accrochée à sa ceinture. Les pouces passés dans ladite ceinture, les jambes écartées, il resta un moment au seuil de la porte de Catherine, sa tête brune relevée avec arrogance. Puis, comme la jeune femme lui tournait le dos avec un haussement d'épaules, il se mit à rire.
— J'ai quelque chose à vous montrer, dit-il au bout d'un moment. Jetez donc un coup d'œil dans la cour...
Comme la nuit, depuis longtemps, était venue, Catherine avait fermé les volets intérieurs de sa chambre. La journée, celle de la Toussaint, avait été si triste ! Pleine de brume qui pénétrait en longues écharpes jaunes dès qu'une fenêtre s'ouvrait, un brouillard dense portant des relents d'eaux mortes et d'herbe pourrie ! Catherine, qui n'avait même pas eu le droit d'entendre la messe à la chapelle, s'était recroquevillée chez elle, s'y calfeutrant comme un animal frileux.
Lentement, elle alla vers la fenêtre, rabattit le volet. Les lueurs de torches qui s'agitaient en bas dansèrent sur son visage à travers les petits carreaux en losange sertis de plomb. Elle ouvrit la fenêtre, se pencha. Éclairés par les torches que portaient des soldats, des ribauds allaient et venaient, maniant des bûches et des fagots qu'ils entassaient autour d'un poteau de bois noir d'où pendaient des chaînes. Avec une exclamation d'horreur, Catherine se rejeta en arrière, pâle jusqu'aux lèvres. Son regard affolé croisa celui, narquois, de Sillé.
— Eh oui ! Gilles a décidé que, demain, jour des Trépassés, il y aurait un mort de plus et que votre démon familier s'en irait en fumée...
Ce n'est pas possible ! chuchota Catherine plus pour elle-même que pour son déplaisant visiteur. Ce n'est pas possible ! Il ne peut pas faire ça !
— Il va se gêner ! rétorqua l'autre avec un gros rire. Elle s'est conduite comme une sotte, votre sorcière, ma belle. Si elle avait été plus maligne, elle n'en serait pas là. Mais vous aurez au moins la consolation d'assister à la chose...
Sur la table où refroidissait le souper auquel Catherine n'avait qu'à peine touché, il prit une perdrix et mordit dedans aussi simplement que s'il se fût agi d'une pomme. Il se versa un gobelet de vin, l'avala d'un trait et s'essuya la bouche au revers de sa manche de velours, puis se dirigea vers la porte.
— Faites de beaux rêves, belle Dame ! Dommage que vous soyez en cet état et que mon beau cousin ait défendu qu'on vous touche ! J'aurais aimé vous tenir compagnie plus longtemps.
La tête tournée vers la fenêtre d'où venaient les bruits sinistres de la cour, Catherine demeura immobile jusqu'à ce qu'elle eût entendu la porte se refermer sur Sillé. Alors seulement, elle fléchit les genoux jusqu'à ce qu'ils touchassent terre, enfouit son visage dans ses mains.
— Sara ! sanglotait-elle tout bas. Ma pauvre Sara !
Les bruits de la cour s'éteignirent, le reflet des torches disparut et même la chandelle se consuma presque entièrement dans son bougeoir de fer noir sans que Catherine eût quitté sa position prostrée. Écrasée de chagrin, elle priait et pleurait alternativement, ne sachant plus vers qui se tourner, qui implorer pour obtenir secours. Il lui semblait être au fond d'un puits profond, aux murailles lisses qui ne
Weitere Kostenlose Bücher