Belle Catherine
personnage la tira de sa douloureuse contemplation. Non sans peine, car elle s'était si bien enfermée dans son navrant tête-à-tête que tous les autres assistants avaient disparu pour elle. À peine était-elle consciente de la silhouette rigide de Sara, assise au pied du lit, le dos contre une colonne, et du souffle rapide de Xaintrailles derrière son dos. Mais le nouveau venu avait de quoi éveiller l'attention la plus flottante. Long, maigre et un peu voûté, il avait un visage étroit et jaune sur lequel tranchaient d'épaisses lèvres rouges, un long nez en bec d'aigle et de petits yeux profondément enfoncés sous des sourcils
charbonneux. De longs cheveux bizarrement tressés en cadenettes tombaient sur les épaules maigres du personnage et rejoignaient une barbe noire qui semblait faite de copeaux d'ébène. Une robe noire élimée flottait autour de son corps et, sur cette robe, se détachait sinistre une rouelle jaune, à laquelle s'attacha, stupéfait, le regard de Catherine. Ce regard, le nouveau venu l'intercepta et eut un rire sec.
— Les enfants d'Israël vous font-ils peur, Madame ? Je jure n'avoir jamais fait mourir, ni réduire en poudre aucun petit enfant, si c'est là votre crainte...
La voix grave de Jacques Cœur s'éleva derrière lui avant que Catherine ait pu répondre :
— Rabbi Moshe ben Yehuda est le plus savant médecin de la ville. Il a étudié à l'université de Montpellier, dit le pelletier, nul ne saurait mieux que lui soigner mon hôte. Bien des fois, en ce qui me concerne, j'ai fait appel à lui car il est habile et sage.
— N'y a-t-il donc, en cette ville, aucun médecin chrétien ? intervint Xaintrailles avec une légère grimace. J'avais entendu que maître Aubert...
— Maître Aubert est un âne qui tuera votre ami plus sûrement que les bourreaux de La Trémoille. Après la médecine arabe, la science hébraïque est la plus puissante de notre temps. Elle a pris ses racines à Salerne où exerçait la fameuse Trotula.
Tandis que Jacques parlait, Moshe ben Yehuda, avec un haussement d'épaules, s'était approché du lit et considérait le malade avec des prunelles rétrécies.
— Il n'a pas sa connaissance, murmura Catherine. Parfois, il ouvre les yeux, mais il ne voit rien. Il balbutie des mots incompréhensibles et...
— Je sais ! coupa le médecin. Maître Cœur m'a tout expliqué. Laissez-moi l'examiner... Veuillez vous reculer.
À regret, Catherine s'écarta. Ce grand homme noir, penché sur Arnaud, lui semblait de mauvais augure et lui faisait peur.
Il avait tellement l'air d'un esprit funèbre ! Pourtant, elle fut bien obligée de lui reconnaître une extraordinaire habileté.
Ses longs doigts souples avaient parcouru rapidement tout le corps du blessé, s'attardant sur les écorchures tuméfiées laissées par le fouet et dont certaines suppuraient. D'une voix sourde, il réclama de l'eau pure dans un bassin, puis du vin.
Il fut servi dans l'instant. Sara et Mahaut étaient suspendues à ses lèvres presque autant que Catherine.
Dans l'eau, il lava ses doigts avant de les poser sur le visage d'Arnaud. Catherine le vit relever les paupières, examiner longuement les yeux abîmés. Il émit un léger sifflement.
— Est-ce que... c'est grave ? demanda-t-elle timidement.
— Je ne saurais vous dire. Plusieurs fois déjà, j'ai vu de ces cas de cécité chez des prisonniers. C'est une affection due, je crois, à la nourriture infecte des prisons. Hippocrate lui donnait le nom de Keratis.
— Cela veut-il dire... qu'il est aveugle pour toujours ? fit à son tour Xaintrailles d'une voix si chargée d'angoisse que Catherine, instinctivement, tendit une main vers lui. Mais Rabbi Moshe hochait ses cadenettes noires.
— Qui peut savoir ? Certains sont restés aveugles, d'autres ont retrouvé la vue, parfois dans un délai assez bref. Grâce au Très-Haut, je sais comment soigner avec les meilleures chances de réussite.
Tout en parlant, il s'était déjà mis à l'ouvrage. Toutes les blessures furent lavées soigneusement avec du vin, puis enduites d'un onguent fait de graisse de mouton, de poudre d'encens et de térébenthine lavée, enfin bandées de toile fine.
Sur les yeux malades, Rabbi Moshe ben Yehuda appliqua un cataplasme de feuilles de belladone et d'huile de palme, en recommandant de le changer tous les jours.
Nourrissez-le de lait de chèvre et de miel, dit-il enfin quand il eut fini. Veillez à le tenir dans une parfaite propreté.
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