Ben-Hur
cadavre. Il se représentait sa douleur ; elle allait se trouver seule au monde ; c’était le moment de lui pardonner et d’avoir pitié d’elle. Il se reprochait de ne point s’être informé d’elle le matin, de ne lui avoir pas même accordé une pensée et il se sentait prêt à racheter son oubli en lui témoignant la sympathie que réclamait le chagrin profond dans lequel la nouvelle qu’il s’apprêtait à lui apprendre, la plongerait.
Il secoua le rideau étendu devant la porte et entendit tinter les petits grelots qui y étaient attachés, mais il ne reçut pas de réponse : il l’appela plusieurs fois par son nom sans plus de résultat, alors il écarta le rideau et entra dans la chambre. Elle ne s’y trouvait pas. Il monta en toute hâte sur le toit, elle n’y était pas davantage. Il questionna les domestiques, aucun d’eux ne l’avait vue durant la journée. Après l’avoir longuement cherchée dans toute la maison, Ben-Hur revint dans la grande salle et prit, auprès du mort, la place qui aurait dû être celle d’Iras, et il comprit combien le Christ s’était montré plein de miséricorde envers son vieux serviteur. Ceux qui entrent dans le repos du Paradis laissent heureusement derrière eux les afflictions, les peines de ce monde et les défections de ceux qu’ils ont aimés ici-bas.
Neuf jours après leur guérison, la loi étant accomplie et Balthasar ayant été enseveli, Ben-Hur ramena chez lui sa mère et Tirzah et, depuis ce jour, dans cette maison, les deux noms les plus sacrés que puissent prononcer des lèvres humaines furent toujours réunis dans une même pensée d’adoration : Dieu le Père, et Christ le Fils.
CHAPITRE XLVII
Cinq ans après la crucifixion, Esther, la femme de Ben-Hur, était assise dans une des chambres d’une magnifique villa située près de Misène. C’était le milieu du jour, et les chauds rayons du soleil d’Italie faisaient épanouir les roses dans les jardins. Tout dans l’appartement était romain, mais Esther portait le costume d’une matrone juive. Tirzah et deux enfants, qui jouaient sur une peau de lion étendue devant ses pieds, lui tenaient compagnie.
Le temps lui avait été clément, elle était plus belle que jamais, et son mari, en rachetant la villa de Misène, avait réalisé un de ses rêves les plus chers. Au milieu de cette scène d’intérieur, une servante parut sur le seuil de la salle et lui dit :
– Il y a, dans l’atrium, une femme qui veut te parler, maîtresse.
– Qu’elle vienne, je la recevrai ici.
Aussitôt l’étrangère entra. À sa vue, Esther se leva et se prépara à parler, puis, elle hésita, changea de couleur et finalement recula en disant :
– Je t’ai connue autrefois, bonne femme, tu es…
– J’étais Iras, la fille de Balthasar.
Esther, revenue de sa surprise, ordonna à sa servante d’apporter un siège à l’Égyptienne.
– Non, dit Iras froidement, je vais me retirer dans un instant.
Elles se regardèrent en silence pendant un moment. Esther présentait l’image d’une mère heureuse, d’une épouse contente de son sort. Il était évident que le sort avait traité moins généreusement son ancienne rivale. Elle conservait encore des vestiges de sa grâce d’autrefois, mais une vie mauvaise avait posé son empreinte sur toute sa personne. Son visage était devenu vulgaire, ses grands yeux étaient rouges, ses joues décolorées. Un pli dur et cynique défigurait sa bouche. Ses vêtements étaient malpropres et de mauvais goût, la boue du chemin restait attachée à ses sandales. Ce fut elle qui rompit la première le silence.
– Ce sont là tes enfants ?
Esther les regarda et se mit à sourire.
– Oui. Veux-tu leur parler ?
– Je les effrayerais, répliqua Iras en s’approchant davantage d’Esther, puis voyant que celle-ci ne pouvait réprimer un léger frisson, elle continua : Mais toi, n’aie pas peur. Je désire te charger d’un message pour ton mari. Dis-lui que son ennemi est mort, qu’il m’avait rendue si malheureuse, que je l’ai tué.
– Son ennemi !
– Messala. Dis encore à ton époux que j’ai été punie à un tel point du mal que j’avais voulu lui faire qu’il aurait pitié de moi, s’il savait tout.
Des larmes montèrent aux yeux d’Esther, elle allait parler, mais Iras l’en empêcha.
– Non, s’écria-t-elle, je n’ai besoin ni de tes larmes, ni de ta pitié. Dis-lui enfin que
Weitere Kostenlose Bücher