Catherine des grands chemins
et...
— L'autre était un petit bonhomme maigre et jaune avec des yeux de braise et une barbiche en pointe. L'autre... le cavalier au masque, je n'ai même pas entendu le son de sa voix. Il ne m'a pas regardé. Il se tenait un peu à l'écart, flattant de sa main gantée l'encolure de sa bête qui grattait le sol avec impatience.
— Que t'a dit le plus petit ? demanda Saturnin.
— Il m'a demandé si je connaissais le bailli de Montsalvy. J'ai répondu que je l'avais vu deux ou trois fois, à l'occasion, que j'étais berger du seigneur de Vieille- vie. Alors le petit homme jaune a demandé si j'accepterais d'aller porter quelque chose chez maître Saturnin aussi vite que possible. Et il m'a donné un écu pour ma peine.
— Cette lettre, demanda Catherine, où est-elle ?
— La voici, répondit Saturnin en tendant à Catherine le message tout scellé qu'elle prit d'une main tremblante.
— Vous ne l'avez pas ouverte ?
— Ce n'est pas à moi de le faire, fit le bailli en hochant la tête.
Voyez plutôt.
En effet, quelques lignes étaient tracées sur le parchemin : « Pour dame Catherine de Montsalvy, quand elle reviendra. »
Catherine eut tout à coup l'impression que les murs blanchis à la chaux se mettaient à tournoyer autour d'elle. Ces mots, sans aucun doute possible, c'était Arnaud, Arnaud lui-même, qui les avait tracés !
Dans un geste instinctif, elle serra le message contre son cœur, luttant contre l'émotion qui montait en elle. Saturnin s'en aperçut, voulut congédier le berger.
— Tu as bien délivré ton message, mon garçon. Va te reposer maintenant.
Mais Catherine l'arrêta.
— Attends ! Je veux aussi te remercier, berger.
Elle fouilla dans son aumônière, mais le jeune garçon fit un geste de refus.
— Non, noble dame ! J'ai déjà reçu mon salaire. Achetez mes fromages si vous voulez, je n'accepterai rien de plus.
— J'achète tous tes fromages, petit ! Et que Dieu te bénisse !
Dans la main du berger ébahi, elle vida sa bourse. Le garçon se retira en la couvrant de bénédictions qu'elle n'entendit même pas. Elle avait hâte de rester seule pour lire le précieux message... Quand le berger eut disparu, elle leva les yeux vers Saturnin.
— Personne, dit-elle, ne doit savoir qui le berger a rencontré, personne à Montsalvy. Et surtout pas dame Isabelle.
— C'était messire Arnaud, n'est-ce pas ?
— Oui, Saturnin, c'était lui ! La maladrerie de Calves a brûlé l'autre nuit. Il a dû échapper par je ne sais quel miracle. Mais il vaut mieux qu'elle l'ignore. Seuls, Donatienne, Sara et Gauthier pourront savoir.
— Soyez sans crainte. Personne ne saura rien. Pour tout le monde ici, même pour l'abbé, messire Arnaud est mort à Carlat. Ils continueront de le croire. Maintenant, je vous laisse seule un moment.
— Merci, Saturnin... Vous êtes bon !
Il sortit sur la pointe des pieds, fermant soigneusement la porte derrière lui. Catherine alla s'asseoir sur la pierre immaculée de l'âtre éteint et, lentement, ouvrit le parchemin. Ses mains tremblaient d'excitation et de joie, mais les larmes brouillaient tellement ses yeux qu'elle eut de la peine, tout d'abord, à déchiffrer l'écriture hardie de son époux. Elle passa la main sur son front, sur ses yeux ; comme pour en arracher ce voile qui les couvrait.
— Mon Dieu, fit-elle avec un rire nerveux. Je n'y arriverai jamais !
Il faut que je me calme !
Elle s'obligea à respirer à fond deux ou trois fois, s'essuya les yeux.
Cette fois le texte devint clair.
« Catherine, disait le parchemin, je n'ai jamais été habile aux jeux de la plume, mais, avant de disparaître pour toujours, j'ai voulu te dire un dernier adieu, et aussi te souhaiter le bonheur que tu mérites. Tu l'as trouvé, m'a-t-on dit, et mon souhait est sans valeur. Ne suis-je pas un mort qui respire encore et qui, hélas, n'a pas cessé de penser ? Mais j'ai encore le pouvoir de te dire que tu es désormais libre, par ma volonté même. » Le cœur de Catherine manqua un battement. Ses doigts se crispèrent sur le parchemin, mais, courageusement, elle poursuivit sa lecture.
La suite était pire.
« Celui que tu as choisi te donnera tout ce que je n'ai pas pu te donner. Il est vaillant, digne de toi. Tu seras riche, fêtée, honorée.
Mais, moi, Catherine, moi qui tout mort que je suis n'ai pas encore réussi à tuer l'amour dans mon cœur, je ne peux plus rester dans ce pays où tu ne seras plus. Ce qu'il était possible d'accepter
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