Catherine et le temps d'aimer
l'interrogeât. Zobeïda ne la fit pas languir.
— Que veux-tu, Morayma ? Pourquoi cette agitation ! Relève-toi !
À peine debout, la maîtresse du harem pointa vers Catherine un doigt accusateur.
— Cette femme s'est échappée de son appartement après avoir maîtrisé et ligoté une de ses compagnes et lui avoir volé ses vêtements. Je vois qu'elle a osé s'introduire chez toi, ô splendeur !
Remets-la-moi pour que je lui fasse appliquer le châtiment qu'elle mérite : le fouet !
Un sourire méchant crispa la bouche de la princesse.
— Le fouet ? Es-tu folle, Morayma ? Pour que le Calife à son retour, qui ne saurait tarder, en lise les marques sur le corps dont il est impatient de goûter de nouveau les délices ? Non, laisse-la-moi...
Désormais, elle ne quittera plus ces pavillons que pour se rendre au désir de mon frère. C'est une noble dame du pays des Francs, vois-tu, la propre sœur de mon seigneur bien- aimé. Elle m'est, désormais, chère et précieuse. Ce sont mes propres servantes qui s'occuperont d'elle à l'avenir, qui la baigneront et la parfumeront quand son maître la demandera afin que son corps soit le poème parfait dont il s'enivrera sous les roses du Djenan-el-Arif...
Incontestablement, Zobeïda connaissait à merveille l'art de jeter l'huile sur le feu. Chacun des mots prononcés par elle était calculé pour attiser la fureur d'Arnaud... cette fureur dont elle espérait bien qu'elle allait être mortelle. De fait, l'époux de Catherine frémissait, les poings serrés, tendu comme une corde d'arc... Zobeïda lui dédia un sourire ensorcelant.
— Je te laisse avec elle. Fais ce que tu crois devoir faire, mais ne me laisse pas trop longtemps languir de ton absence ! Chaque minute qui s'écoule sans toi est une éternité d'ennui... ; puis, changeant de ton
: Quant à toi, Morayma, laisse-les aussi, mais ne t'éloigne pas. Tu veilleras, lorsque mon seigneur en aura terminé avec elle, à loger cette femme... selon ses besoins et selon son rang !
Catherine se mordit les lèvres de rage: Qu'espérait cette chatte sanguinaire ? Qu'Arnaud allait la tuer ? Sans doute le logement qu'elle recommandait à Morayma de lui trouver était quelque tombe bien profonde et bien secrète, à l'abri des vautours ? Catherine ne s'illusionnait guère sur la subite sollicitude de son ennemie. Depuis qu'elle la croyait la sœur d'Arnaud, Zobeïda la haïssait peut-être plus encore que par le passé, à cause, sans doute, des souvenirs communs où elle n'avait point part. Cette femme devait jalouser même le passé !
Et, comme la Mauresque, en se dirigeant d'un pas nonchalant vers sa chambre, passait auprès d'elle, Catherine ne put s'empêcher de lui lancer :
— Ne te réjouis pas trop vite, Zobeïda... Je ne suis pas encore morte. Il est peu dans nos coutumes que le frère tue la sœur ou l'époux l'épouse.
— Les fils du destin sont tous entre les mains d'Allah ! Que tu vives ou que tu meures, qu'importe ? Mais, si j'étais toi, je choisirais la mort car vivante tu n'as aucune chance d'échapper à ton sort, celui d'une esclave parmi d'autres esclaves, parée et caressée certes tant que tu plairas, délaissée et misérable quand ton heure sera passée !
— Trêve de discours, Zobeïda ! coupa Arnaud brutalement. Je suis seul ici à savoir ce que je dois faire. Va-t'en !
Un rire moqueur à peine étouffé derrière la main, le glissement soyeux des babouches sur le marbre et la princesse disparut. Arnaud et Catherine furent seuls, face à face...
Ils restèrent un instant sans parler, debout à quelques pas l'un de l'autre, écoutant les bruits de ce palais hostile, et Catherine songea avec amertume qu'elle n'avait pas imaginé ainsi leurs retrouvailles.
Tout à l'heure, oui, quand il avait arraché son voile et qu'il avait esquissé le geste de la prendre dans ses bras ! Mais, maintenant, les flèches empoisonnées de Zobeïda avaient frappé au plus vif de la chair d'Arnaud, trouvant le cœur. Maintenant, ils allaient se déchirer l'un l'autre avec l'acharnement d'ennemis implacables... Était-ce donc pour en arriver là qu'ils s'étaient cherchés, aimés en dépit des hommes, des guerres, des princes et de tant d'orages capables d'abattre les plus forts
? Quelle pitié !...
Catherine osait à peine lever les yeux sur son époux qui, les bras croisés sur sa poitrine, l'observait, craignant trop de lui montrer les larmes qui emplissaient ses yeux. Elle s'accordait, avant le
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