Catherine et le temps d'aimer
recourbé et garni d'or. Et Catherine nota, avec un serrement de cœur, qu'aucune douceur ne venait alléger le poids du regard glacial dont il l'enveloppait.
Deux serviteurs en longues robes vertes la prirent aux épaules lorsqu'elle entra et l'obligèrent à s'agenouiller devant le trône. Alors, elle perdit son dernier espoir. Elle n'avait rien à attendre de cet homme qui, d'emblée, la traitait en coupable. Elle demeura immobile, attendant qu'il parlât, mais levant hardiment les yeux vers lui.
D'un geste, il avait fait le vide autour d'elle. Quand le dernier serviteur se fut retiré, il ordonna :
— Enlève ton voile. Je veux voir ton visage. Aussi bien... tu n'y as pas droit. Tu n'es pas des nôtres.
Elle obéit avec joie et, en même temps, se releva, décidée à ne plus rien abandonner de sa fierté. Si elle ne pouvait sauver Arnaud, elle était bien déterminée à obliger Muhammad a l'envoyer le rejoindre. Le voile blanc qu'elle portait glissa autour d'elle comme une flaque claire tandis que son regard croisait celui, irrité, du souverain.
— Qui t'a permis de te relever ?
— Toi. Tu l'as dit : je ne suis pas des vôtres ! Je suis femme libre et de noble lignage. Dans mon pays, le Roi me parle avec respect.
Muhammad se pencha vers elle, un pli à la fois moqueur et méprisant marquant sa bouche charnue.
— Ton Roi t'a-t-il possédée ? Moi, oui !... Quel respect puis-je avoir pour toi ?
— Est-ce pour me dire cela, ô puissant Calife, que tu m'as fait venir ? Je n'en vois pas l'utilité, à moins que tu n'aies plaisir à insulter une femme.
— J'aurais pu, en effet, t'envoyer à la mort sans un mot, mais j'ai voulu te revoir... ne fût-ce que pour juger de ton habileté à mentir.
— Mentir ? Pourquoi donc me donnerais-je cette peine ? Interroge, seigneur : je te répondrai. Une femme de mon rang ne ment pas !
Il y eut un silence. Habitué aux esclaves serviles, aux créatures oisives et molles pour lesquelles il n'était pas de fête plus grande qu'être appelées auprès de lui, Muhammad regardait avec une colère mêlée d'étonne- ment cette femme qui osait se dresser devant lui, sans peur apparente, sans arrogance non plus, mais simplement fière et digne malgré sa faiblesse présente.
D'ailleurs le ton qu'avait pris leur entretien ranimait le courage de la jeune femme. Si elle pouvait continuer à parler ainsi, presque d'égal à égal, il pouvait y avoir une chance... Brusquement, Muhammad attaqua :
— On dit que le chevalier franc... l'assassin de ma sœur bien-aimée, est ton époux ? fit-il avec une feinte négligence.
— C'est vrai.
— Donc, tu m'as menti ! Tu n'es pas une captive des Barbaresques achetée à Almeria.
— On t'a menti, seigneur ! Moi, je ne t'ai rien dit... car tu ne m'as rien demandé. Maintenant, je te le dis moi-même : j'ai nom Catherine de Montsalvy, dame de la Châtaigneraie, et je suis venue jusqu'ici pour reprendre l'époux que ta sœur m'avait volé.
— Volé ? J'ai rencontré mainte fois cet homme. Il semblait s'accommoder de son sort... et de l'amour insensé que Zobeïda lui vouait.
— Quel captif ne cherche à s'accommoder de son sort ? Quant à l'amour, seigneur, toi qui prends les femmes au gré de ton caprice sans que ton cœur intervienne en rien, tu devrais savoir qu'un homme le pratique assez facilement.
Brusquement, le Calife rejeta le sceptre de bambou qui ajoutait peut-être à sa majesté, mais l'encombrait et s'agita sur son divan de parade. Catherine vit une tristesse passer dans son regard clair.
— Est-ce là ta façon de voir les choses ? fit-il avec amertume. Je t'ai donné, en quelques jours, tant d'amour, que je pouvais m'attendre à plus de chaleur de ta part ! J'ai cru, un moment, avoir trouvé en toi celle que j'avais renoncé à chercher. Tu n'as donc été, dans mes bras, qu'une esclave comme les autres ?
— Non. Tu m'as rendue heureuse, reconnut Catherine honnêtement. Je ne te connaissais pas et j'ai été surprise, agréablement, de te trouver tel que tu es. Je m'attendais à quelque chose de terrible et tu t'es montré doux et bon. Ce souvenir que tu évoques... pourquoi n'avouerais-je pas qu'il m'est agréable et que notre nuit fut une douce nuit ? Ne t'ai-je pas promis de ne pas te mentir ?
D'un mouvement souple et rapide, Muhammad se leva et s'approcha de Catherine. Une vague de sang était montée à ses joues brunes et ses yeux s'étaient mis à briller.
— Alors, murmura-t-il d'une voix
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