Catherine et le temps d'aimer
basse, pressante, pourquoi ne pas reprendre le poème là où nous l'avons laissé ? Tout peut demeurer comme par le passé. Tu m'appartiens toujours et je peux oublier, aisément, le lien qui t'enchaîne à cet homme.
L'ardeur qui vibrait sous les paroles du Calife fit trembler Catherine.
L'amour était le seul terrain où elle se refusait à le suivre parce qu'elle ne pouvait plus répondre à sa passion. Elle secoua la tête, répondit avec une douceur lasse :
— Pas moi ! Il est mon époux, t'ai-je dit. Notre mariage a été béni par un prêtre, dans notre pays. Je suis sa femme jusqu'à ce que la mort nous sépare.
— Ce qui ne tardera guère ! Bientôt, tu seras libre, ma rose, et tu recommenceras ici une existence auprès de laquelle tout ce que tu as connu n'est que mauvais rêve. Je te ferai sultane, reine ici sur tout ce qui vit et respire. Tu auras tout ce que tu désireras et tu régneras plus que moi-même puisque tu régneras sur moi !
Muhammad avait retrouvé, d'un seul coup, le visage passionné qu'il avait eu dans le jardin aux eaux chantantes. Catherine, envahie par une soudaine tristesse, comprit qu'il l'aimait vraiment, que pour elle il était prêt en effet à bien des sacrifices, hormis sans doute le seul qu'elle réclamât de lui. Il serait facile, bien sûr, de lui mentir, de lui laisser croire à un amour fictif, mais elle sentait bien que cela ne sauverait pas Arnaud et que celui-ci ne lui pardonnerait pas cette ultime trahison. Elle avait promis d'être franche, elle le serait jusqu'au bout. Peut-être, après tout, cet homme, qui lui avait toujours paru bon et droit, trouverait-il dans sa nature profonde assez de noblesse pour se montrer magnanime...
— Tu ne m'as pas comprise, seigneur, dit-elle tristement, ou bien tu n'as pas voulu me comprendre. Pour être venue le chercher jusqu'ici, au travers de tant de dangers, il fallait que j'aime mon époux... plus que tout au monde !
— Je t'ai dit qu'il ne serait plus longtemps ton époux !
— Parce que tu as juré sa mort ? Mais, seigneur, si tu m'aimes autant que tu le dis, tu ne peux vouloir me réduire au désespoir. Crois-tu que je pourrais t'aimer après sa mort, accepter les caresses de tes mains rouges encore de son sang ?
Une idée lui vint, tout à coup, généreuse et folle, mais l'imminence du péril couru par Arnaud ne lui laissait pas le choix. Elle avait toujours le droit de se sacrifier pour lui et cet homme avait assez d'amour pour accepter ce qu'elle allait lui offrir.
— Écoute ! dit-elle d'une voix pressante, tu ne peux, si tu m'aimes vraiment, mettre entre nous un souvenir affreux. Laisse partir mon époux. Fais-le reconduire aux frontières du royaume... et je resterai auprès de toi, ta captive aussi longtemps que tu le voudras.
Cette fois, elle faisait une entorse délibérée à cette vérité qu'elle avait promise car elle savait bien que, s'il acceptait, elle ferait tout pour s'enfuir et que, de son côté, Arnaud mettrait tout en œuvre pour la reprendre. Mais il fallait gagner du temps et, surtout, arracher Arnaud à la mort prochaine. Tout doucement, elle se rapprocha de Muhammad, avec une instinctive coquetterie, l'enveloppant de son parfum, s'enhardissant jusqu'à poser sa main sur son bras. Au diable les scrupules ! La vie d'Arnaud avant tout !
— Écoute-moi, seigneur, et fais ce que je te demande, supplia-t-elle. Fais grâce à mon époux !...
Sans la regarder, les yeux fixés sur les frondaisons de la cour, il répliqua froidement :
— Je n'ai pas le droit de faire grâce ! Tu oublies que celle qu'il a tuée était ma sœur et que tout le royaume réclame la tête de l'assassin.
Que Grenade entière voulût venger Zobeïda, universellement détestée, voilà qui laissait Catherine sceptique, mais elle n'en dit rien.
Ce n'était pas le moment de discuter la popularité de la morte. Au contact de sa main, elle avait senti frémir Muhammad, et cela lui suffisait.
— Alors... laisse-le fuir ! Nul ne pourra te le reprocher.
— Fuir ?
Cette fois, il la regarda et Catherine, déçue, vit que son regard avait l'éclat froid de l'acier.
Sais-tu que le Grand Vizir en personne s'est institué son geôlier ?
Sais-tu qu'outre les vingt soldats maures qui le gardent à vue, il y a, près du cachot où il est enfermé, une troupe d'hommes du Grand Cadi qui veille également. Car Allah lui-même exige le sang du meurtrier d'une princesse de Grenade. Il me faudrait, pour le laisser fuir,
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