Catherine et le temps d'aimer
sa main les brides des deux chevaux.
Ils allaient pénétrer dans l'auberge quand, tout à coup, la foule, jusque-là bruyante mais relativement paisible,
devint houleuse et reflua d'un même mouvement vers la porte de la ville en poussant d'affreux hurlements. Ce fut une explosion si violente et si sauvage à la fois qu'elle perça le brouillard d'indifférence dont s'enveloppait Catherine.
— Que font-ils donc ? demanda-t-elle.
— Je ne sais pas ! J'ai cru comprendre qu'ils allaient au-devant de quelque chose, quelque chose qu'ils attendaient... Peut-être le Roi qui regagne son château...
— Si ce n'est que cela... soupira Catherine, que les fastes, même royaux, intéressaient moins encore que tout le reste.
Pourtant, elle ne pénétra pas dans l'auberge. Mieux, elle revint lentement vers la porte Santa Maria d'où venait de surgir un étrange cortège devant lequel la foule maintenant refluait.
Cahotant sur les pavés inégaux, un grossier chariot paysan s'avançait péniblement au milieu d'un groupe de cavaliers, lance au poing. Sur ce chariot, il y avait une cage faite de grosses lattes de bois armées de solides pentures de fer. Et, dans cette cage, il y avait un homme enchaîné.
On ne voyait de lui qu'une masse à peu près informe. L'exiguïté de la cage ne lui permettait pas de se tenir debout. Il était assis, la tête cachée dans ses bras posés sur ses genoux, sans doute pour donner moins de prise aux projectiles de toutes sortes que lui lançait la populace avec des cris de mort. Trognons de chou, crottin de cheval et surtout pierres pleuvaient sans arrêt sur la cage, mais la masse humaine, car l'homme devait être d'une belle taille, ne bronchait pas.
11 avait l'air fait de terre rouge, tant il était sale et l'on ne pouvait distinguer ni la couleur réelle de ses cheveux, ni celle de sa peau. Des haillons gris de crasse le couvraient, mais, sur sa tête, on pouvait voir la tache sinistre d'une blessure encore fraîche.
La foule hurlait de plus en plus fort et les gardes durent faire usage de leurs lances pour la repousser car, sans cela, elle eût pris la cage d'assaut. Fascinée, Catherine regardait cette scène de violence sans parvenir à en détacher son regard. La pitié se levait en elle pour ce malheureux en si piteux état sur lequel s'acharnait la plèbe.
— Mon Dieu ! murmura-t-elle, pensant tout haut, qu'a donc fait ce malheureux ?
— Ne perdez pas votre pitié, mon jeune seigneur, remarqua, près d'elle, une voix lente pourvue d'un fort accent tudesque. Il s'agit seulement de l'un de ces maudits brigands qui infestent les monts d'Oca, à l'est de cette ville... Ce sont des loups sanguinaires qui volent, pillent, brûlent et font mourir dans d'affreux supplices leurs prisonniers quand ils ne peuvent payer.
Surprise, Catherine se tourna vers celui qui venait de parler. C'était un homme d'une quarantaine d'années, dont le visage ouvert et énergique à la fois s'ornait d'une soyeuse barbe blonde et d'une paire d'yeux d'un bleu candide. Mais la stature était vigoureuse, élevée.
L'on devinait des muscles solides sous la tunique de grosse laine brune, couverte de cette fine poussière blanche qui annonce les travailleurs de la pierre.
Le sourire franc qu'il lui offrait plut à Catherine.
— Comment se fait-il que vous parliez notre langue ? demanda-t-elle.
— Je la parle assez mal, excusez-moi, fit l'homme en riant, mais je la comprends fort bien. Je m'appelle Hans de Cologne et je suis le maître d'œuvre de la cathédrale, ajouta-t-il en désignant les échafaudages couronnant l'édifice.
— De Cologne ? s'étonna la jeune femme. Qu'est-ce qui vous a conduit si loin de votre pays ?
— L'archevêque Alonso de Carthagène que j'ai rencontré à Bâle durant le Concile, voici trois ans. Mais, vous-même, n'êtes pas d'ici...
Une légère rougeur couvrit les joues de Catherine. Elle n'avait pas prévu qu'on lui poserait cette question à brûle-pourpoint et n'avait pas préparé sa réponse.
Je... je m'appelle Michel de Montsalvy, fit-elle précipitamment pour demeurer d'accord avec son costume masculin. Je voyage en compagnie de mon écuyer pour voir du pays !
— On dit que les voyages forment la jeunesse ! Cela prouve que vous n'avez pas froid aux yeux, ou que vous êtes bien-innocent car cette contrée n'a rien d'agréable. La nature y est rude, les gens à demi sauvages...
Il s'interrompit. La foule, tout à coup, s'était tue et le silence était
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