C'était de Gaulle, tome 3
pas du tout sur le fond de votre politique, mais sur un certain style de dialogue qui a sans doute manqué.
« Le général de Gaulle , bravo, on tire son chapeau, mais il est trop vieux »
GdG. — Mais il y a encore un élément qu'il ne faut pas craindre d'évoquer. C'est mon âge. Il est tout à fait naturel et humain que beaucoup de gens disent : "Le général de Gaulle, c'est très bien. Il a fait ce qu'il devait, il a fait ce qu'il a pu, bravo, on tire son chapeau, mais il est trop vieux ; et par conséquent, il faut qu'on leremplace. " Ça, d'instinct, il y a sans aucun doute un nombre important de gens — et surtout naturellement de jeunes — qui le pensent. Et moi-même je le pense aussi. Si j'avais ce remplacement, je ne serais plus là, je n'aurais aucune raison d'y être. Mais ce que ces gens-là ne voient pas, c'est qu'il n'y a pas de remplaçant, et c'est un drame national. Car Mitterrand ne m'aurait pas remplacé. Il aurait remplacé ce qui est, c'est-à-dire l'action, la stabilité, la réalité, par, immédiatement, la pagaille. C'est évident, et Lecanuet aussi. Mais ça n'empêchait pas que beaucoup de gens — beaucoup de jeunes — disent : "Oui, mais enfin tant pis, il faut mettre quelqu'un d'autre à la place de De Gaulle." Par instinct, par impulsion élémentaire que je comprends très bien. Ça a compté certainement.
(Il évite, en ne me parlant que des candidats, de dire ce qu'il pense de Pompidou comme "remplacement"...)
AP. — Mais ça a été accentué par le fait que l'absence de campagne de votre côté a donné l'impression que vous étiez fatigué, etc. Mais, comme vous avez gagné, je ne crois pas que l'on puisse retenir du scrutin l'idée que votre septennat ne doive pas aller jusqu'au bout.
GdG. — Oui, mais enfin, je ne sais pas. Au point de vue politique, je ne sais pas ce qui se passera, notamment au moment des élections l'année prochaine. Et puis, il y a la question de mes forces.
AP. — Ça, c'est une autre affaire.
GdG. — Je vous répète que ce n'est pas à 75 ans que je peux prédire que dans sept ans je serai là. »
« Arrangez ça avec Malraux »
6 janvier 1966.
Le lendemain, Pompidou organise, dans un restaurant discret, un déjeuner plus amical que politique, autour d'Henri de Ségogne, le très urbain président de la Commission de contrôle des films 3 . Il règne comme une atmosphère de petites vacances. Pompidou a la tranquillité d'âme de celui qui sait que le Général le conservera à son poste. Mais il est bien le seul. Il sait aussi que, le 8, il assistera avec Michel Debré, comme ancien Premier ministre, à la cérémonie du passage entre le premier et le second septennat — avant d'être aussitôt renommé. Il savoure d'être ainsi comme en suspension, sans suspens.
La conversation roule naturellement sur les changements de gouvernement. Très en verve, il nous raconte l'éviction de Malrauxdu ministère de l'Information en 1958 et l'invention du ministère de la Culture.
À son retour aux affaires, le 1 er juin 1958, de Gaulle avait rendu à Malraux la charge qu'il occupait en 1945 : l'Information. Qui pouvait mieux que lui ordonner le mariage entre l'action et le verbe, et les enrichir l'un par l'autre ? Malheureusement, dans cet été 1958, vis-à-vis d'une Algérie et d'une armée en ébullition, l'action demandait une infinie prudence. Ça n'était pas tout à fait dans le caractère de Malraux. C'est ainsi qu'un beau tapage a éclaté quand le prestigieux porte-parole du Général reconnut la pratique des tortures en Algérie et affirma qu'elle cesserait, grâce à la politique qu'il allait suivre...
Pompidou : « Un lundi matin de juillet, rentrant de Colombey vers onze heures, le Général m'appelle :
« — J'ai décidé de prendre Soustelle à la place de Malraux comme ministre de l'Information. Arrangez ça avec Malraux.
« — Soustelle est prévenu ?
« — Oui, me répond de Gaulle, je l'ai fait convoquer par l'aide de camp. Il vient à midi.
« À peine une heure pour " arranger ça avec Malraux ", qui risque de ne pas trouver à son goût ce remplacement impromptu. J'allume une cigarette, je réfléchis au moyen de présenter l'affaire et, quittant mon bureau, je traverse la cour de Matignon pour me rendre de l'autre côté de la rue, dans le petit hôtel particulier où est installé Malraux.
« — Le Général voudrait créer un grand ministère de la Culture, un ministère qui donnerait une autre
Weitere Kostenlose Bücher