Chasse au loup
derrière une table renversée défendaient cette caricature de forteresse. Un lieutenant s’engagea dans l’escalier, entraînant dans son sillage des grenadiers et refoulant les Autrichiens qui défendaient chaque marche. Le massacre se poursuivit à l’étage. Enfin, la bâtisse fut prise. Il y eut un reflux. Des soldats ressortaient en courant, aspirés par les affrontements des rues. D’autres s’attardaient, feignant d’être blessés ou secourant ceux qui l’étaient vraiment. Margont allait partir lorsqu’il aperçut une petite branche de chêne sur le plancher. Les Autrichiens et les Hongrois avaient coutume d’accrocher à leurs casques ou à leurs shakos quelques feuilles de houx, de saule, de peuplier... Cette tradition symbolisait leur désir de faire la paix. Mais ces feuilles-là étaient rouges ; elles baignaient dans une flaque de sang en train de coaguler.
Margont regagna la rue. La mêlée avait progressé, abandonnant derrière elle des corps par centaines. Un capitaine essayait de se relever en prenant appui sur son sabre fiché dans le sol. Des blessés agrippaient les valides par la jambe pour réclamer du secours, ou au moins à boire. D’autres s’adossaient aux murs en ruine. Margont rejoignit les Français les plus proches. Ils avaient traversé Essling. Devant eux, des Autrichiens s’enfuyaient ou jetaient leurs armes à terre et se constituaient prisonniers.
— Victoire ! Victoire ! criaient les Français.
Lefîne s’approcha de Margont. Des larmes de joie traçaient des lignes claires sur ses joues noircies par la poudre.
— Nous sommes vivants ! Enfin, je crois... J’ai l’impression qu’Irénée vous a volé votre compagnie.
Les troupes les plus avancées du 6 e corps de Klenau évacuaient Essling pour se retrancher dans le village d’Aspern. Mais l’élan autrichien était cassé et Aspern se trouvait lui aussi assailli. La progression spectaculaire de Klenau se retournait contre ce dernier, il était désormais isolé et fit savoir à l’archiduc Charles qu’il se repliait. Cette très mauvaise nouvelle pour les Autrichiens fut suivie d’une série d’autres problèmes. Les treize mille hommes de Jean dont ils attendaient désespérément les renforts ne seraient pas là avant plus de deux heures... Surmenées, les troupes autrichiennes commençaient à montrer des signes d’épuisement alors que les réserves fraîches de Napoléon se jetaient sur elles. L’aile gauche autrichienne était débordée, celle de droite reculait et le centre se fragilisait de minute en minute. L’archiduc décida donc d’ordonner la retraite. Il voulait à tout prix éviter la destruction de son armée, car c’était toute la monarchie des Habsbourg qui reposait sur elle. En choisissant de lâcher prise maintenant, il disposait de forces encore suffisamment vaillantes pour pouvoir se retirer en bon ordre et se défendre contre les unités françaises qui allaient les poursuivre.
Les Autrichiens avaient perdu quarante-cinq mille soldats, vingt-cinq mille tués ou blessés et vingt mille prisonniers. Les Français et leurs alliés, trente-cinq mille, dont les deux tiers tués ou blessés. Napoléon déclara : « La guerre n’était jamais ainsi. Ni prisonniers, ni canons : cette journée n’aura aucun résultat. »
CHAPITRE XXXII
Le 7 juillet, Napoléon décida de donner du repos à son armée. Des détachements de hussards et de chasseurs à cheval harcelaient l’armée autrichienne en retraite, mais se heurtaient à la cavalerie de l’archiduc. L’Empereur voulait pourchasser l’armée ennemie, la talonner, la bousculer et encercler les unes après les autres les unités isolées... La poursuite devait être efficace afin de transformer la victoire sur le champ de bataille en un succès total. Dès le lendemain, Napoléon lancerait donc toutes ses forces dans cette course.
Une immense confusion régnait dans la Grande Armée. Partout, on voyait errer des soldats, isolés ou en petits groupes, à la recherche de leur bataillon. Il faudrait des heures pour rassembler tout le monde, surtout que les ordres circulaient mal. De nombreux officiers avaient été tués, ce qui interrompait les chaînes de commandement. Ces dysfonctionnements généraient malentendus et rumeurs. On entendait dire que le 4 e corps de Masséna – qui avait perdu vingt-cinq pour cent de ses effectifs ! – allait être autorisé à se reposer dans Vienne. Quelques minutes
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