D'Alembert
polémique redoublait de violence. Les guérisons du cimetière de Saint-Médard sur le tombeau du diacre Pâris accroissaient l'ardeur fanatique des jansénistes, tout fiers des miracles que Dieu faisait pour eux.
On discutait sur les limites de l'observance due à la cour de Rome : s'étend-elle aux questions de fait ? Le problème, comme au temps de Pascal, avait deux solutions opposées, évidentes chacune pour ceux qui l'adoptaient. Pour se faire une idée de l'acharnement des partis, il faut les laisser parler.
«La charité chrétienne, disait une brochure du temps, permet-elle, sans se faire leur complice, de communiquer avec ceux qui, pour combattre la vérité, descendent tout vivants dans l'Enfer ?»
«Quand j'ouvre cette bulle, disait un autre auteur, et que j'y vois condamner cent une vérités qui sont l'élixir de la tradition, l'abrégé du christianisme, le rempart de l'Église, le fondement de la religion, dois-je me contenter de dire : on veut me faire illusion ? La bulle est visiblement subreptice et porte tous les caractères de la plus pernicieuse nouveauté.»
C'est sur ce ton que, par des milliers de pamphlets se répondant comme les voix d'un choeur d'anathèmes, les partis, pendant un quart de siècle, se maudissent, se déchirent et s'insultent. Pour ceux qui prendraient intérêt au fond, ils sont rares aujourd'hui, il serait malaisé de les instruire.
Pour voir ce venin si bien caché et comprendre ces subtiles distinctions, il faut regarder de près et avoir de bons yeux.
Quand Dieu veut sauver l'âme, en tout temps, en tout lieu,
L'inévitable effet suit le vouloir de Dieu.
L'innocence de ces deux vers semble égaler leur platitude. C'est une dangereuse erreur : ils contiennent deux hérésies condamnées par la bulle.
Dans les miracles accomplis sur le tombeau d'un appelant, le bienheureux Pâris, les jésuites n'accordaient aucun sujet de triomphe à leurs adversaires.
Il fallait avant tout définir le mot miracle. Comment espérer sans cela une argumentation solide ? Un miracle, disaient-ils, doit être instantané et complet. Tout ce qui vient de Dieu a d'abord sa perfection. Ses oeuvres sont achevées suivant la force du terme. C'est une vérité dont Moïse nous est garant. Quelque chose que Dieu fasse, il est impossible, dit le Sage, d'y ajouter ou d'en retrancher.
Oserait-on prétendre qu'il est impossible d'ajouter à une guérison imparfaite ? Elle n'est donc pas l'oeuvre de Dieu.
Satan, le père du mensonge, qui remue le ciel et la terre pour susciter des ennemis à Dieu parmi les hommes, ne peut-il pas aussi faire des miracles ? On n'en peut pas chrétiennement douter. Les maléfices sont constants, les histoires en sont remplies, les confessions des malfaiteurs en font foi, les arrêts des cours souveraines le confirment.
Mais le démon n'a pas la toute-puissance, il essaye, il tâtonne, il s'y reprend à plusieurs fois. Entre sa folle malice et la sage bonté de Dieu, la distinction devient facile.
Les malades guéris à Saint-Médard, après avoir ajouté neuvaines sur neuvaines, ne peuvent être, suivant cette doctrine, que des imposteurs ou des démoniaques.
Un paralytique jette ses béquilles sur le tombeau du diacre, et rentre à pied chez lui, mais en boitant. Ce n'est pas Dieu qui fait ainsi les choses à demi, le miracle est un piège, l'apparente promesse une menace, et les convulsions qui la précèdent, les effets, dans ce lieu maudit, de la rage et de la furie du démon. Il n'est rien de mieux fondé sur les Écritures.
N'a-t-il pas été dit dans l'Apocalypse : Vae terrae et mari, quia descendit diabolus ad vos habens iram magnam !
A ces preuves en apparence si solides on opposait l'évidence des faits.
La première oeuvre de Dieu a été la production du chaos, et la terre fut d'abord sans beauté, afin que l'on apprît que toute créature ne devient parfaite qu'à mesure que Dieu l'enrichit.
L'enfant ressuscité par Élie ne l'a été qu'après que le prophète se fut étendu trois fois sur lui. Le même prophète, le texte est formel, a envoyé sept fois son serviteur avant que la pluie promise à Achab eût commencé à tomber. Élisée s'est couché sept fois sur l'enfant de la Sunamite, il a frappé sept fois le Jourdain. Naaman, qu'il envoya au Jourdain, s'y est baigné sept fois consécutives, et Ezéchias, personne ne l'ignore, n'a été guéri que le troisième jour ; si Dieu eût voulu le guérir subitement, on ne lui aurait pas promis
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