D'Alembert
citoyens et la paix des esprits.
D'Alembert aimait à rire. Les histoires de convulsionnaires, premier aliment de son esprit, lui en donnaient rarement l'occasion. On me permettra cependant, dans la Vie du diacre Pâris condamnée au feu par l'Inquisition et solennellement brûlée à Rome, de signaler une anecdote fort oubliée et cependant devenue célèbre. Labiche en a fait le sujet de sa charmante pièce le Misanthrope et l'Auvergnat. Bien peu de nos contemporains, en l'applaudissant au théâtre du Palais-Royal, y ont soupçonné une réminiscence des convulsionnaires de Saint-Médard.
Le diacre Pâris, interdit comme appelant de la bulle au futur concile, vivait saintement et souffrait sans se plaindre : le parti le canonisait.
Le bon diacre consacrait aux bonnes oeuvres une fortune supérieure à ses besoins. Sa conscience timorée se reprochait chaque jour des faiblesses qu'il était seul à apercevoir.
Un prêtre du diocèse d'Orléans s'était rendu célèbre par son humeur frondeuse et son caractère difficile. Il avait dans plusieurs paroisses apporté la discorde et le trouble ; suspect, de plus, de jansénisme et condamné par son évêque, il était tombé dans la pauvreté.
Le bon diacre lui offrit l'hospitalité avec l'injonction formelle de tout observer dans la maison et d'étudier, sans craindre l'indiscrétion, les imperfections et les péchés de son hôte. Pâris couchait sans draps et vivait de légumes. En échange de cette maigre chère, la tâche imposée à son surveillant était facile. Le saint homme péchait rarement. La situation était celle de Machavoine chez Chiffonet. Le dénouement fut le même ; un jour vint où le diacre, à bout de patience, s'écria :
«Véritablement, il va un peu loin !»
Les livres jansénistes prêtés à d'Alembert contenaient peu d'histoires de ce genre ; il s'en dégoûta bien vite. Pendant ses études de médecine comme à l'École de droit, d'Alembert s'exerçait aux mathématiques.
Les leçons élémentaires reçues au collège étaient excellentes, et un souvenir reconnaissant est dû à son maître M. Caron.
Les amis de d'Alembert, regardant, non sans raison, les mathématiques comme un mauvais instrument de fortune, eurent assez d'influence pour le décider à se séparer pour un temps de ses livres de science. Il les porta chez un ami, chez Diderot peut-être. La médecine restait sa seule étude, mais la géométrie, quoi qu'il fît, le divertissait sans cesse.
Les problèmes troublaient son repos. Impatient de toute contrainte, même volontaire, d'Alembert, chaque fois qu'une difficulté l'arrêtait, allait chercher un des volumes. Ils revinrent tous dans sa petite chambre. La maladie était sans remède : il l'accepta comme un bonheur. La médecine fut abandonnée ; les problèmes, résolus sans scrupule, furent discutés avec persévérance.
D'Alembert, à l'âge de vingt ans, avait, sans rien rêver de plus pour l'avenir, la modeste ambition de devenir un grand géomètre.
CHAPITRE II - D'ALEMBERT ET L'ACADÉMIE DES SCIENCES
D'Alembert, vers la fin de sa vie, songeant à ses premiers travaux, écrivait avec émotion : «Les mathématiques ont été pour moi une maîtresse !»
Cette maîtresse, quoique souvent négligée, ne l'a jamais trahi. Le temps pendant lequel des succès sans éclat couronnaient des travaux sans ambition fut pour lui le plus heureux et le plus regretté. Sous le modeste toit de celle qui lui servait de mère, il trouvait la tranquillité nécessaire à ses profondes recherches. En se réveillant dans sa petite chambre mal aérée, et de laquelle on voyait trois aunes de ciel, il songeait avec joie à la recherche commencée la veille et qui allait remplir sa matinée, au plaisir qu'il allait goûter le soir au spectacle, et, dans les entr'actes des pièces, au plaisir plus grand encore que lui promettait le travail du lendemain. Le monde-je veux dire les sociétés brillantes dans lesquelles d'Alembert devait être bientôt recherché et admiré était pour lui sans attrait ; il ne le connaissait ni ne le désirait.
Quelques amis, dont quelques-uns devinrent célèbres ou illustres, formaient sa société habituelle. Le profond géomètre était cité comme le plus gai, le plus plaisant, le plus aimable de tous.
La première communication de d'Alembert à l'Académie des sciences est du 19 juillet 1739 ; elle est insignifiante. Il propose une remarque relative à un passage d'un livre classique alors,
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