Délivrez-nous du mal
ans.
— Et il ne s’absentait jamais ? Il partait le matin et rentrait le soir ?
— Sans jamais varier, maître.
— Ces deux hommes qui sont venus le trouver, à quoi ressemblaient-ils ?
Zapetta fronça les sourcils, comme font les enfants pour obliger leur pensée à s’arrêter sur une image.
— Ils étaient grands, assez forts. Je n’ai pas vu leurs habits car ils portaient un long manteau noir.
— Armés ?
— Je ne sais pas.
— Leurs visages ?
— Hélas, je ne les ai pas gardés en mémoire. Je m’inquiétais trop pour Rainerio. Tout cela s’est passé si vite…
Elle décrivit la silhouette de son frère, son visage, son âge ainsi que les vêtements qu’il portait le jour de sa disparition.
Gui nota soigneusement les indices, en homme qui sait qu’au commencement d’une enquête rien ne compte que les détails.
Il demanda :
— À qui pourrais-je m’adresser pour mieux connaître ton frère ? Ses fréquentations ? A-t-il des camarades ? Une jeune amie, peut-être ?
— Pas à ma connaissance. Rainerio a toujours été un solitaire. Comme son maître Cosmas. Je ne lui connais qu’un ami d’enfance ; mais j’ignore s’ils se fréquentent toujours. Il se nomme Tomaso di Fregi. La dernière fois que j’ai entendu parler de lui, il travaillait à l’hospice des pèlerins, piazza Segni. J’ai voulu m’y rendre, hier, dans l’espoir de le rencontrer, mais il y avait tant de monde ! Quant à se présenter au Latran, il ne fallait pas y songer ; les gardes ne m’auraient jamais laissée gravir la première marche du palais…
Gui inscrivit le nom de Tomaso. Ensuite il renversa sa tête en arrière, emboîtant son menton entre son pouce et son index, ce qui était sa manière dès qu’il pensait. Il resta longtemps sans rien dire. La petite fille, un peu désappointée, commençait de craindre qu’il se soit mis à songer à autre chose.
— Si je viens vous voir, monsieur Gui, insista-t-elle, c’est que nous aurons bientôt mangé les rares économies de Rainerio. Je vais devoir épisser des cordes et blanchir des draps pour un aubergiste, en secret de mes parents, pour essayer d’apporter un complément de vivres et de charbon, mais si Rainerio ne reparaît pas, en plein hiver, je les perdrai eux aussi.
— J’entends bien, ma petite.
Il ne la regardait pas, combinant des hypothèses dans son cerveau.
— Et puis… et puis…
— Et puis ?
Il savait d’avance ce qu’elle allait lui dire.
— Nous ne pourrons jamais nous acquitter de vos honoraires sans que… eh bien…
— … sans que je retrouve Rainerio, c’est cela ?
Zapetta fit un oui embarrassé.
— C’est égal. Ne te préoccupe pas d’argent pour le moment. Dans bien des cas, Dieu pourvoit à tout !
Bénédict ouvrit un tiroir d’un petit meuble derrière lui, encombré par une montagne de feuilles éparses, et sortit une bourse dont il tira deux deniers qu’il tendit à Zapetta.
— Au contraire, c’est moi qui te paye ; prends cela dans l’attente de mes premiers résultats. Ton frère, lorsque nous l’aurons retrouvé, y parfera, je n’en doute pas. Reviens dans trois jours. Si Rainerio n’est pas rentré d’ici là, j’aurai appris du nouveau. Rome est une moins grande ville qu’elle y paraît : tout se sait, tout se voit et tout s’entend. Pour peu que l’on soit observateur, on apprend bien des choses ! Un homme ne disparaît pas aussi facilement de la circulation.
Le visage de Zapetta rayonna, elle essuya ses yeux avec le dos de ses mains menues.
— Rentre chez toi à présent, lui dit Gui. Envoie au diable cet aubergiste qui veut te faire laver ses draps en plein hiver et reste auprès de tes parents. Je te demande de la patience pour trois jours.
La jeune fille bondit pour lui saisir les mains.
— Je prierai, maître Gui, je prierai la Vierge de vous tenir en sa sainte garde. Je prierai…
Bénédict la raccompagna au seuil de sa boutique. Il lui laissa emporter sa couverture pour ne pas qu’elle prenne froid en retournant à l’autre bout de Rome.
Zapetta fit un signe de croix avec son pouce sur ses lèvres et disparut trottinant sur les pavés glacés.
Gui retourna à sa table de travail.
« La Sainte Congrégation ? Un Promoteur de Justice ?…»
Il inspecta sa tablette de notes.
Rainerio.
Vingt ans, grand et osseux, le visage en longueur, de grands yeux, comme sa sœur, des lèvres minces, un nez relevé, des
Weitere Kostenlose Bücher