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Délivrez-nous du mal

Délivrez-nous du mal

Titel: Délivrez-nous du mal Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Romain Sardou
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les a invités à vous empoisonner avec des infusions de jusquiame.
    Chênedollé leva les bras au ciel.
    — Ah ! Mais c’est précisément le breuvage que l’on m’a prescrit pour soigner mes ulcérations.
    — C’est fin : selon son dosage, cette plante a la particularité d’être soit un remède, soit un poison. Ces trois personnages se sont entendus pour vous tuer à petit feu… Vous m’en voyez bien désolé, monsieur.
    Blême, les poings serrés, Chênedollé ne savait que choisir entre la consternation de se savoir volé, cocu et assassiné, et l’étonnement que lui inspirait le bien-fondé de la réputation de Bénédict Gui.
    — On m’avait dit que vous étiez l’homme de toutes les situations !…
    Éludant le compliment, Bénédict se leva, comme pour signifier que l’entrevue touchait à son terme.
    — La technique de codage est médiocre, ajouta-t-il, mais il faut reconnaître que le procédé n’est pas dénué d’avantages : pour dissimuler une correspondance à quelqu’un, quoi de meilleur que de la lui mettre sous le nez ?
    Le gros Maxime de Chênedollé grogna une nouvelle fois puis déposa trois ducats d’or sur l’écritoire de bois, près de la corne à encre.
    — Merci, l’ami, dit-il. Ne dites rien de cela à personne. Si mes concurrents apprenaient que l’on est en mesure de me flouer, de quoi aurais-je l’air ?
    Gui fit un mouvement du front qui laissait entendre à quel point il s’en fichait. Toutefois il soupesa les ducats et promit.
    Il raccompagna l’homme et son valet, coupant court aux exclamations du riche marchand.
    — Les femmes… l’argent… la trahison… Rien n’est jamais ce que l’on croit !…
    Enfin Chênedollé repartit comme il était venu, confortablement voituré.
    Bénédict le vit disparaître avec soulagement. Il n’aimait pas se compromettre avec la vie domestique de ces gens-là. « À s’en mêler, il n’arrive jamais rien de bon. » Il regrettait même d’avoir délivré le secret de sa femme et de son amant. S’ils allaient vouloir se venger de lui, il aurait encore à se tirer d’affaire, en gâchant de son temps précieux.
    Il referma sa porte et considéra les trois ducats de Chênedollé.
    — Voilà qui sera suffisant pour faire le jour sur la disparition du frère de Zapetta, se dit-il en souriant.
    Comme annoncé ce matin à la jeune fille, la providence avait pourvu à tout.
    Gui serra l’argent dans une bourse et reprit le fil de ses pensées là où Chênedollé l’avait interrompu.
    Quelques minutes plus tard, le marchand d’Ostie et sa piteuse affaire d’escroquerie avaient quitté son cerveau aussi bien que s’ils n’avaient jamais existé…

C HAPITRE 0 3
    À Cantimpré, le vicaire Augustodunensis et les villageois réussirent enfin à se libérer de l’église où ils étaient retenus prisonniers, après avoir embouti le portail avec le socle des fonts baptismaux. Ils percevaient clairement les cris des enfants qui se répandaient dans le village après le départ des hommes en noir.
    Les cinq femmes enceintes sortirent de chez elles avec crainte. Dès l’ouverture de l’église, les petits en larmes rejoignirent leurs parents pour raconter ce qu’ils avaient vécu.
    Augustodunensis se précipita vers la maison du père Aba.
    Il y trouva les meubles renversés, une des portes emboutie, le cadavre de l’enfant éventré le long d’une poutre et le prêtre à terre, baignant dans son sang.
    Il ordonna qu’on descende le garçon et que l’on transporte le père Aba dans sa chambre à l’étage.
    On étendit le blessé sur son lit. La pièce respectait l’ascétisme franciscain des fraticelles : vide à l’exception d’une croix au mur, d’un prie-Dieu et d’une planche de bois qui servait de couchage.
    Le vicaire et les trois villageois présents défirent leurs manteaux pour couvrir le prêtre et lui relever la nuque. Son teint était blafard, sa respiration au plus bas, la moitié du visage défigurée par les coups reçus. Le sang, spumeux et sombre, avait roulé jusqu’au torse.
    Pasquier, le barbier-chirurgien, lui étancha le front et la gorge avec un linge imprégné d’eau vinaigrée. Le prêtre ne réagit pas aux morsures de la solution acide. La tempe gauche était ouverte et le sang jaillissait par pulsions molles et espacées, le coup transversal porté par l’homme en noir avait entièrement décollé la cornée : les humeurs aqueuses se vidaient, mêlées au

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