Des rêves plein la tête
coucher, recommanda Annette aux siens. Oubliez pas
que vous dînerez pas avant une heure de l'après-midi demain à cause de la
procession.
— Vous trouvez
pas, m'man, qu'on pourrait ben laisser faire la communion pour une fois,
suggéra sa fille. Ça va être long sans bon sens sans manger. En plus, on va
marcher au moins pendant une heure et demie avant que la procession soit finie.
— Il en est pas
question, Laurette Brûlé ! s'insurgea sa mère. De quoi on aurait l'air de
rester dans notre banc, demain, à l'église, quand va arriver le temps de la
communion ? As-tu envie de te faire regarder de travers par tout le monde ?
— Ta mère a
raison, intervint son père. Se passer de manger pendant douze heures, c'est pas
la fin du monde. Dis -toi qu'il y a ben du monde qui mangent même pas un repas
par jour...
Laurette haussa
les épaules et alla se préparer deux tartines beurrées qu'elle saupoudra de
sucre brun. Elle dévora son goûter avec un bel appétit avant de se mettre au lit.
Cette nuit-là,
elle rêva du beau jeune homme qui l'avait lorgnée avec intérêt plus tôt dans la
journée.
Le dimanche
matin, Laurette fut la première à être prête à partir pour l'église
Saint-Vincent-de-Paul. Il faisait déjà chaud et un magnifique soleil brillait
en ce matin de la Fête-Dieu. La jeune fille prévint son père qu'elle attendrait
la famille dehors.
Moins de cinq
minutes plus tard, ses deux frères la rejoignirent sur le trottoir.
— Tu vas finir
par
poigner le
torticolis, lui dit Bernard.
— Pourquoi tu dis
ça ?
— T'arrêtes pas
de regarder chez les Charpentier, lui répondit le cadet de la famille avec un
sourire narquois.
— T'es ben
niaiseux, toi, répliqua l'adolescente en lui tournant carrément le dos.
Au même instant, le
pensionnaire des Charpentier sortit de la maison voisine. En apercevant
Laurette, le jeune homme souleva légèrement son chapeau en esquissant un
sourire timide pour la saluer au passage et prit la direction de la rue
Dufresne. L'adolescente avait eu le temps de remarquer que le nouveau venu
était de taille moyenne et que ses cheveux châtain clair étaient rejetés en
arrière, découvrant ainsi un large front. Son visage aux traits réguliers était
sympathique.
Quand ses parents
sortirent de la maison à la suite d'Armand, elle se mit immédiatement en
marche, précédant sa famille de quelques pas. Par chance, Suzanne Tremblay
sortit à cet instant précis de chez elle et s'empressa de venir lui tenir
compagnie.
— Aïe ! As-tu vu
qu'il y a un nouveau gars qui reste dans notre rue ?
— Quel nouveau
gars ? demanda Laurette en feignant la surprise.
— Il reste chez
les Charpentier.
— Ah ! Lui ? Oui,
je l'ai vu.
— Est-ce qu'il
est assez cute à ton goût ?
— Je l'ai juste
aperçu.
— Ben, moi, je
lui ai parlé hier soir, dit Suzanne, toute fière.
— Comment ça ?
demanda son amie, la voix teintée de jalousie.
— Je suis allée
acheter du tabac pour mon père chez Grégoire et il marchait sur le trottoir. Je
lui ai parlé. Je te dis que ce gars-là est pas mal gêné avec les filles.
— Qu'est-ce qu'il
t'a dit? ne put s'empêcher de lui demander Laurette, piquée par la curiosité.
— Il m'a dit
qu'il s'appelle Gérard Morin. Il vient de Saint-Hyacinthe. Il est pensionnaire
chez les Charpentier depuis trois jours. Il se cherche de l'ouvrage. Je te dis
que j'haïrais pas ça qu'un beau gars comme lui m'emmène faire un tour, conclut
Suzanne, l'air rêveur.
— Si ma mère
t'entendait, elle te traiterait de dévergondée.
— La mienne
dirait la même chose, rétorqua son amie dans un éclat de rire.
Les deux jeunes
filles se turent, le temps de traverser la rue Sainte-Catherine.
— En tout cas, je
suis certaine que le beau Gérard va s'intéresser à moi. Je pense qu'il m'a
trouvée pas mal à son goût, reprit Suzanne, obsédée par sa rencontre de la
veille.
— Whow ! Prends
pas le mors aux dents, Suzanne Tremblay ! s'insurgea Laurette. C'est pas parce
qu'il t'a dit deux mots que ce gars-là va sortir avec toi.
-— Aïe, Laurette
Brûlé, j'espère que t'es pas pour essayer de me le voler, hein? s'inquiéta
soudain l'adolescente. Oublie pas que j'ai été la première à le voir.
— Ben non,
nounoune ! Tu sais ben que je te ferais jamais ça, la rassura son amie, un peu
à contrecœur.
Elles
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