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Des rêves plein la tête

Des rêves plein la tête

Titel: Des rêves plein la tête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel David
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    Chapitre 1
     
    La Fête-Dieu
     
    En cette fin
d'après-midi de juin, quatre fillettes s'amusaient en sautant à la corde sur le
trottoir de la petite rue Champagne. Un peu plus loin, deux jeunes filles, les
bras chargés de lilas, se dirigeaient vers la rue Dufresne.
     
    Soudain, la porte
du 2429 s'ouvrit et une femme assez corpulente apparut dans l'encadrement.
     
    — Laurette !
cria-t-elle.
     
    Le dos de l'une
des jeunes filles se raidit imperceptiblement, mais elle fit la sourde oreille.
     
    — Laurette Brûlé
! appela la femme, d'une voix beaucoup plus forte.
     
    Cette fois, la
jeune fille ne put feindre de n'avoir pas entendu et se tourna vers celle qui
l'interpellait, avec un air exaspéré.
     
    — Quoi ?
Qu'est-ce qu'il y a encore, m'man ?
     
    — Viens ici une
minute.
     
    La mine boudeuse,
Laurette laissa sa compagne sur place et revint vers sa mère.
     
    — Qu'est-ce qu'il
y a ? demanda encore une fois la brunette de dix-sept ans au visage rond et aux
traits mobiles.
     
    — Je veux pas te
voir revenir dans la voiture de ton père, dit sa mère sur un ton sans réplique.
Tu m'entends ? Essaye de te rappeler ton âge, vinyenne! T'es plus une petite
fille pour monter là-dedans. De quoi t'as l'air quand
     
    le monde te voit
juchée sur une voiture malpropre qui sert à livrer de la glace ? Conduis-toi
comme une demoiselle.
     
    — Ben oui, m'man,
répondit l'adolescente, agacée.
     
    — Dis-moi pas
«ben oui» pour faire à ta tête après. T'as compris ?
     
    — C'est correct.
     
    Sur ce, l'aînée
des trois enfants d'Honoré et Annette Brûlé alla rejoindre son amie, Suzanne
Tremblay, qui s'était immobilisée au coin de la rue.
     
    — Qu'est-ce que
ta mère te voulait ? demanda-t-elle à Laurette lorsque cette dernière l'eut
rejointe.
     
    — Toujours la
même chose. Elle veut pas me voir revenir avec mon père.
     
    — Et comme je te
connais, tu vas le faire pareil, dit Suzanne en riant.
     
    — Pourquoi tu dis
ça ?
     
    — Parce que t'as
toujours eu une tête de cochon, répliqua son amie en riant de plus belle.
     
    — J'ai pas une
tête de cochon, tu sauras, s'insurgea l'adolescente. Verrat, on est en 1930 !
Il faut être moderne. Pourquoi nous autres, les filles, on n'aurait pas le
droit de faire ce qui nous tente de temps en temps ?
     
    — C'est drôle que
tu dises ça, reprit sa compagne après avoir salué de la main une vieille dame
qui s'apprêtait à entrer dans l'hospice Gamelin, que les deux jeunes filles
longeaient. On dirait que t'as déjà oublié ce que les sœurs nous répétaient
sans cesse à la petite école.
     
    — « Soyez une
jeune fille correcte, ma fille ! » «Tenez-vous mieux!» «Pas de grossièreté ici,
mademoiselle!» singea Laurette en prenant l'air pincé des dames de la
Congrégation Notre-Dame qui l'avaient eue comme élève. Elles, on peut dire
qu'elles étaient contentes de me voir partir à la fin de ma septième année.
     
    Les deux jeunes
filles s'arrêtèrent au coin de la rue Sainte-Catherine, le temps de laisser
passer un tramway jaune bringuebalant. Une Ford T s'immobilisa tout près
d'elles et le conducteur leur fit signe de poursuivre leur chemin. Elles
remercièrent d'un signe de tête et traversèrent la rue.
     
    — Il y a des fois
où ma mère me rappelle mère Sainte-Marie, affirma Laurette. Elle a pas voulu
venir à l'inauguration du pont du Havre, le mois passé, mais t'aurais dû voir
la crise qu'elle a faite à mon père quand il m'a emmenée.
     
    — Pourquoi ?
     
    — Parce qu'au
lieu de rester à l'entrée du pont comme ben du monde, mon père m'a emmenée à
pied jusqu'à l'île Sainte-Hélène.
     
    — Moi, j'aurais
ben aimé aller là avec mon père, se plaignit Suzanne. Ça faisait tellement
longtemps qu'il nous parlait de la chicane entre le propriétaire de la
compagnie de savon Barsalou et le gouvernement qui voulait jeter à terre
l'usine sur la rue De Lorimier que j'aurais aimé le voir, ce pont-là. Il
arrêtait pas de répéter que le vieux Barsalou allait finir par obliger le
gouvernement à faire ajouter une courbe au nouveau pont pour qu'il aboutisse
ailleurs. Il paraît qu'il a gagné.
     
    — C'est vrai. Je
pensais plus à ça, reconnut Laurette. Mon père aussi nous en a souvent parlé à
la maison.
     
    — En tout cas,
pas de saint danger que j'aie la chance d'aller à la bénédiction du pont,
reprit Suzanne. Ma mère était pas intéressée à

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