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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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ils désertent plus volontiers; on les entraîne plus facilement au combat, mais ils y persistent moins et passent sans transition de l'obéissance à la licence. Leur courage a plus d'éclat, mais moins de fond. Néanmoins, comme la plupart des guerres en Éthiopie sont injustes, les chefs préfèrent ces engagés, parce qu'ils se prêtent avec plus d'entrain à toutes leurs entreprises.
    Comme on vient de le voir, les manœuvres sur le champ de bataille sont tout à fait élémentaires; elles sont produites par la coordination spontanée des volontés individuelles, et cette espèce d'opinion publique, expression électrique du jugement des combattants, s'est développée d'une façon surprenante. Les Éthiopiens prétendent que ce développement est des plus utiles; qu'il habitue les citoyens à coordonner promptement leurs volontés et à intimider ainsi toutes les tyranies; ils ajoutent que sous toutes les faces la vie est un combat, et qu'il faut habituer chacun à être constamment sur le qui-vive; aussi, disent-ils que le citoyen n'est complet, que lorsqu'il a fait quelques campagnes. À voir la facilité avec laquelle chefs et soldats obéissent aux impulsions collectives, on serait porté à croire que les hommes, si jaloux de leur liberté, le deviennent davantage en face de pouvoirs nettement définis, tant ils mettent de zèle à obéir aux pouvoirs impersonnels, tels que les mœurs ou l'opinion publique, et même les caprices de la mode.
    Peu avant mon arrivée dans le pays, le Dedjadj Conefo, ayant fait, dans sa campagne contre les Égyptiens, quelques prisonniers parmi les troupes d'infanterie régulière, les interrogea relativement aux évolutions qu'ils venaient de faire sur le champ de bataille, et, frappé de l'ineptie de leurs réponses, il déclara leur intelligence bien inférieure à celle de ses propres soldats.
    —C'est sans doute pour suppléer à leur manque d'esprit et de courage, ajouta-t-il, qu'on fait évoluer ces mécréants comme nous l'avons vu. Ils font la guerre comme un troupeau d'esclaves. À une force collective, réglée comme la leur, je préfère le désordre et l'individualité hardie de mes hommes; ceux-ci, battus sur le champ de bataille, peuvent se relever dans la vie civile; ceux-là, même vainqueurs, sont faits pour croupir dans la servitude.
    Comme le soldat peut aspirer au plus haut grade, il existe dans les armées un grand esprit d'égalité, en même temps que le sentiment de la hiérarchie. Cette égalité se répercute dans la vie civile et se manifeste sans insolence d'une part comme sans bassesse de l'autre. Il n'est point de pays, quelque civilisé qu'il soit, où, à un moment donné, l'homme de guerre ne tienne la première place. En Éthiopie, les préséances sont toujours pour lui; cette estime est naturelle, sans doute, dans une société établie principalement sur des bases militaires, mais elle prend sa source aussi dans l'esprit d'indépendance qui préside à la guerre, et l'on se demande si ce n'est pas un des mérites de la discipline européenne d'enlever quelque chose de son charme à l'action de s'entre-détruire, de toutes la moins conseillable assurément, quoique la plus universellement admirée.
    L'Éthiopien est svelte, souple, adroit, endurci aux fatigues, excellent piéton, quand il n'est pas bon cavalier, de peu de besoins, d'une sobriété merveilleuse et naturellement porté à la vie militaire par ses qualités comme par ses défauts. Il fuit d'instinct toutes les entraves, et autant il redoute la compression inexorable des grands entassements de combattants, autant il se déploie et joue allégrement sa vie dans les combats moins en disproportion avec son individualité.
    Le combat qu'il préfère à tous, parce qu'il est plus libre d'y développer sa personnalité, est celui où l'insuffisance du terrain ou d'autres circonstances portent les chefs à n'engager qu'une partie de leurs forces. Il aime à voir les escarmoucheurs des deux armées s'épier et s'aborder en vociférant leurs thèmes de guerre. Il jette joyeusement sa toge pour revêtir quelque ornement de combat, quelque oripeau d'apparat, et se mêler aux lignes largement espacées qui s'entre-suivent et se relèvent à l'attaque. Il aime à comprendre la raison des évolutions des deux partis, à pouvoir juger des coups, à savoir sous quelle main les victimes tombent, à choisir parmi les ennemis pour venger leur mort, à conformer ses mouvements aux instincts qui

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