Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
terrain, de modifier l'assiette des forces de l'ennemi, ou simplement de l'impressionner, ou peut-être pour dégager un peloton de 10 à 15 cavaliers, qui, dans cet emmêlement de charges et contre-charges, allait être enlevé. Au milieu de ces échanges d'attaques, de ruses, et de retours faits au grand galop, escadrons, escouades, lignes, pelotons, se rompent, se mêlent, se disjoignent et se reforment, donnant tour à tour au combat, comme dans un kaléidoscope, des physionomies toujours nouvelles. On verra un cavalier, séparé de ses compagnons, serpenter au milieu de ses adversaires, le sabre à la main, sous une grêle de javelines, et leur échapper quelquefois, après leur avoir distribué des blessures, aux applaudissements des deux partis. Deux troupes considérables s'essaieront réciproquement par dix, quinze ou vingt charges partielles, avant d'exécuter une charge en masse; puis elles recommenceront à s'attaquer par petits détachements, et elles se sépareront après quelques heures, n'ayant peut-être que 60 ou 100 hommes hors de combat par le seul effet des javelines. Si les attaques et les contre-attaques ont été vivement menées, la journée passera pour avoir été chaude. Les Gallas, dans leurs guerres entre eux, se séparent après une perte bien moindre quelquefois, et le combat n'en a pas moins des résultats politiques importants; les chrétiens, cherchant davantage à s'aborder le sabre à la main, s'entretuent bien plus. Les Gallas musulmans du Wollo passent pour les plus habiles à cette tactique; ils reprochent aux cavaliers chrétiens de s'entretuer, sans discernement ni science, de se colleter en rustres avec la cavalerie, de s'aheurter contre l'infanterie, de l'enfoncer parfois, il est vrai, mais comme le feraient des goujats, par la seule et bestiale impulsion de leurs montures, sacrifiant ainsi leurs meilleurs chevaux et leurs plus braves cavaliers; et pour confirmer leur appréciation, ils rappellent les désastres sanglants qu'avec leur manière éclectique de combattre, ils ont fait éprouver aux armées des Ras du Bégamdir en particulier, ces succès ne leur ayant coûté que des pertes insignifiantes.
Cette prédilection pour une façon de combattre qui fait de la fuite un moyen essentiel, prévaut chez presque tous les peuples orientaux. Ils admirent sans doute l'homme énergique qui se pose résolument en obstacle contre un péril pour l'arrêter ou périr, mais ils admirent bien davantage celui qui, surmontant l'ivresse qu'occasionne le péril, sait ruser avec lui, c'est-à-dire disposer avec jugement et économie de ses moyens d'action. L'Éthiopien prend pour type du premier genre de courage le taureau ou le bélier, que leur énergie inintelligente et aveugle porte à exposer du premier coup, en se heurtant front contre front, le centre physiologique de leur vie; il symbolise le second par le lion, bien plus intelligent, dit-il, qui, lui, circonvient cauteleusement ses victimes, fuyasse, se flâtre et se tapit, avant de se dresser en hérissant sa crinière et d'user de sa force, sans rivale cependant; l'homme perd sa valeur, ajoute-t-il, s'il s'abandonne à l'ivresse, que ce soit celle du combat ou celle de l'hydromel.
Cette manière des Éthiopiens d'envisager la guerre est malheureusement loin d'en avoir épuré les lois et banni les brutalités, comme le prouve la coutume barbare de l'éviration; cependant, il ne faut point conclure de cette déplorable coutume à la férocité de ceux qui l'ont adoptée. Les Éthiopiens chrétiens font la guerre avec assez d'humanité, surtout si on les compare à leurs voisins musulmans, les Gallas du Wollo, les Adals, les Taltals et les Chaawis, et même aux Gallas païens et aux Changallas ou nègres, qui passent pour être moins cruels que ceux-ci.
Les Éthiopiens sont braves. Il serait peu prudent de dire à quel degré ils le sont; car si tant de races et de nations s'attribuent chacune en particulier la faculté de savoir le mieux affronter la mort, il en est heureusement peu qui n'aient quelques titres à cette supériorité, comme, heureusement aussi, il n'en est aucune qui puisse avec justice en revendiquer le monopole, tant de nations ayant été les plus braves, selon les temps, les lieux ou les mobiles!
Il semble qu'on doive ranger parmi les actes qui décèlent le plus la personnalité de l'homme, celui de défendre sa vie ou d'attaquer celle de son semblable. Bien des déguisements et des conventions tombent
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