Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
importance. À en croire les traditions, les interrègnes, les guerres civiles et les périodes d'anarchie ont été promptement suivis de retours à l'ordre. Ces phénomènes seraient surprenants, n'était la considération que l'ordre et l'autorité sont surtout vivaces dans les pays régis par les us et coutumes, lesquels puisent leur sanction et leur force dans le culte des aïeux et dans la conscience publique formée en grande partie par les traditions. Le joug des lois décrétées et écrites est d'une nature immuable ou tout au moins peu mobile; celui des traditions de la conscience publique reste en rapport avec les mouvements de la vie sociale, s'adapte aux différentes conjonctures de temps, de lieu, dirige à la fois les mœurs et les lois, tend à maintenir l'harmonie entre elles et intéresse à leur maintien les sujets, qui sentent qu'ils en sont les gardiens intéressés et responsables. Comme tout ce qui procède des hommes, l'opinion publique erre quelquefois, et déplorablement, mais aussi, lorsqu'elle part de principes vrais, elle revient et se reforme d'elle-même au gré des progrès qui s'accomplissent, les lois qu'elle dicte restant comme soumises à une délibération perpétuelle.
À leur avénement, les Atsés faisaient le serment de respecter les libertés de leur peuple et de se conformer aux usages des ancêtres. Cependant, comme nous l'avons dit, plusieurs d'entre eux, cédant aux entraînements du pouvoir, ont entrepris contre les droits de leurs sujets qu'ils ont cherché à soumettre à des règles d'obéissance uniformes, toujours commodes pour les autocrates. Ces entreprises ont donné lieu à des luttes sans nombre, à des guerres dont l'histoire est oubliée, et si, d'après ce que disent les Éthiopiens, leur famille impériale a réellement régné depuis l'époque de Salomon jusqu'au siècle dernier, il y a lieu de regretter profondément que l'histoire en soit perdue, ne fût-ce que pour les enseignements que nous aurait fournis cette lutte tant de fois séculaire entre l'autorité de la famille et de la commune et celle des Césars éthiopiens.
La tradition éthiopienne prétend que, lors de sa visite à la cour de Judée, la reine de Saba conçut du roi Salomon un fils auquel elle donna le jour à son retour en Éthiopie. Lorsque ce fils, nommé Menilek, fut en âge, elle l'envoya auprès de son père. Celui-ci voulant s'assurer de l'identité de sa progéniture, descendit de son trône, y fit asseoir un de ses officiers et se tint parmi ses propres serviteurs. Le jeune Éthiopien était chargé par sa mère de remettre à Salomon un anneau qu'elle tenait de lui, et qui devait contribuer à le faire reconnaître. Il se prosterna tout d'abord devant l'officier assis sur le trône, mais ne pouvant démêler dans ses traits l'image paternelle que sa mère avait gravée dans sa mémoire, il parcourut des yeux les courtisans, reconnut Salomon malgré son déguisement, et, s'avançant vers lui sans hésitation, il lui présenta l'anneau.
Les courtisans furent émerveillés. Salomon remonta sur son trône, bénit ce fils, le fit couvrir d'habits somptueux et se complut à le voir à sa cour, où il lui donna une fonction parmi ses serviteurs. Mais le jeune Éthiopien ressemblait tellement à Salomon, que le peuple de Judée s'y trompait. Le roi, redoutant les grandes qualités de son enfant et les effets de la popularité qu'il s'attirait chaque jour davantage, jugea bon de l'envoyer régner en Éthiopie et de lui donner pour compagnons les fils aînés d'un grand nombre de familles de marque de ses États, ainsi que des représentants de chacune des douze tribus d'Israël, afin de figurer et perpétuer en Éthiopie le royaume de Judée.
Menilek désirant emporter un signe qui lui rappelât le pays de son père, s'entendit avec ses compagnons pour enlever du tabernacle les Tables de la Loi. Un vent impétueux, disent les Éthiopiens, vint en aide à ces pieux voleurs, en jetant le désordre et l'effroi parmi les habitants de la Judée, et un nuage enveloppa même les ravisseurs jusqu'au moment de leur arrivée à un port de la mer Rouge, d'où un flot propice les porta rapidement jusqu'en Éthiopie. Les lévites, gardiens du tabernacle, réussirent, dit-on, à cacher à leur peuple la soustraction des Tables Saintes qu'ils remplacèrent comme ils purent. De même que chez les Israélites, les Tables auraient toujours suivi le camp des Empereurs éthiopiens jusqu'à l'époque,
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