Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
religieux: leur agrée-t-il? Ils l'appellent: «Notre père,» et lui demandent de bénir leurs armes; plus loin, ils en trouvent un autre, le toisent, le gouaillent et le dépouillent; ils se conduisent un jour en redresseurs de torts; le lendemain, sans provocation, ils feront le sac d'un village; natures aventurières avant tout, un mot les excite, une bonne parole les concilie. Ailleurs, apparaît à mule, une femme tout enveloppée de sa toge: on ne voit d'elle que ses grands et beaux yeux; des suivants à pied l'entourent et pressent la marche, tant ils craignent la rencontre de quelque cavalier trop curieux. Une heure après, l'on trouve des hommes à cheveux blancs, accroupis en cercle: ce sont les Anciens qui délibèrent ou ressassent quelque affaire de la commune; ou bien, à l'ombre d'un arbre, une assemblée d'hommes assis, écoutant les plaidoyers des parties debout: ou bien des prêtres, vêtus de toges et de turbans blancs, à la physionomie calme et prospère; ou des laboureurs demi-nus, courbés sur la charrue et excitant leurs bœufs avec de longs fouets; ou une file de sarcleuses agenouillées sur le sillon; ou une caravane de trafiquants, haletants à la suite de leurs bêtes de somme; ou une troupe de paysans armés et de paysannes se rendant à un marché lointain; ou des femmes revenant de la source et pliant sous leurs amphores rebondies; ou une compagnie de mendiants lépreux qui parcourent les provinces, chantant en chœur des complaintes, des pièces de poésie satiriques; ou une nombreuse troupe clameuse de paysans bien armés, conduisant une nouvelle mariée au village de son époux; ou quelque trouvère voyageant, la guzla sur l'épaule, le sabre au côté, toujours prêt à bavarder ou à chanter ses bouts-rimés; ou quelque chef cheminant avec autorité, environné de ses fantassins et de ses cavaliers causant avec lui.
Avec tout ce monde, on échange des saluts, où se trouve toujours mêlé le nom du Créateur.
À en croire leurs annales, les Éthiopiens auraient vécu, dès la plus haute antiquité, sous le régime féodal, avec un Atsé ou Empereur pour suzerain suprême. Leurs traditions confirment cette donnée, mais elles mentionnent des séditions, des bouleversements et des interrègnes amenés par les fautes de l'aristocratie, du clergé, quelquefois du peuple, et plus souvent par les excès des prétentions impériales. Selon les traditionnistes, quelques portions de l'Empire auraient essayé d'autres formes de gouvernement, mais toujours entées sur leurs formes féodales. Ils auraient, tour à tour, érigé des royautés, des oligarchies, et, désespérant de le trouver sur la terre, ils auraient été chercher dans le ciel le gardien suprême de leurs intérêts ici-bas, en nommant tel saint ou tel archange comme chef inspirateur de tous les pouvoirs. Mais quelles qu'aient été ces tentatives, de quelque côté que ce peuple se soit retourné sur son lit de douleur social, il n'aurait jamais abandonné l'ordonnance féodale proprement dite.
Du reste, le mot de féodalité est un de ceux dont la portée a changé suivant les temps et les lieux où il a été appliqué. On a cherché à préciser le pays où cette forme de gouvernement a surgi la première fois. Serait-ce en Europe, des suites d'une conquête? Serait-ce en Perse ou dans l'Inde, d'où elle nous aurait été importée? Ou bien, la devons-nous à nos premiers ancêtres, les Ariens? En tous cas, en Orient, la féodalité a toujours existé en germe dans l'état patriarcal, où elle s'est développée diversement, selon le temps, le lieu ou les événements. Son éclosion est naturelle chez les peuples pasteurs, et surtout chez les peuples agricoles, qui n'ont pas été déformés par le despotisme, qu'ils aient à contenir un peuple conquis, ou que les intérêts de leur propre défense contre les dangers de l'intérieur ou de l'extérieur leur fassent sentir l'insuffisance de leur organisation par familles indépendantes.
Lorsque des pères ou chefs de famille, ces premiers et légitimes dépositaires de l'autorité, se groupent et se réunissent, sous la pression d'une nécessité devenue commune, il semble que quelques éléments de l'autorité qui est dans chacun d'eux s'en dégagent, s'agglomèrent et constituent comme une puissance qui n'attend plus désormais qu'une main pour la diriger au profit de tous. Alors il s'en trouve toujours un pour assumer insensiblement, et avant que ses concitoyens ne
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